D'après des experts militaires russes: «Stratégiquement, c'est un échec pour les Etats-Unis»

Les experts militaires russes suivent de très près la guerre en Irak. Leur avis sur la stratégie militaire américaine est sans pardon, alors qu'ils ne tarissent pas d'éloges sur la résistance des Irakiens.(1)

Pol De Vos
29-03-2003

Selon des informations vérifiées, les contre-attaques des Irakiens ces dernières 48 heures ont infligé des pertes aux Anglo-Américains : 30 morts, 110 blessés et 20 soldats disparus. Une trentaine de véhicules ont été mis hors de combat, parmi lesquels 8 chars et 2 systèmes d'artillerie mobiles, 2 hélicos et 2 drones (avions sans pilote). Du côté irakien, quelque 300 militaires ont perdu la vie et 800 ont été blessés. 200 ont été faits prisonniers et une centaine de véhicules ont été détruits, parmi lesquels 25 chars.

Mythes et mensonges

Un premier mythe concerne la supériorité stratégique des armes de précision. S'il est vrai que, ces 15 dernières années, les Américains ont gagné leurs guerres avec un minimum de pertes et, en premier lieu, grâce à leurs attaques aériennes, il est tout aussi vrai que les militaires américains refusent d'admettre qu'ils n'ont nullement gagné ces guerres via une quelconque victoire contre une résistance militaire, mais qu'ils l'ont surtout fait en isolant leur ennemi politiquement.

Aujourd'hui, nous devons constater que ces armes de précision n'ont fourni aucune supériorité sur le plan stratégique. Les structures de commandement irakiennes n'ont pas été mises hors circuit, pas plus que les réseaux de communications ou que la direction militaire et politique. Entre-temps, l'arsenal des armes de précision américaines a quand même été réduit de quelque 25%.

Un second mythe, c'est celui qui prétend que la prétendue « guerre de haute technologie » ne peut en aucun cas être tenue en échec par des armes conventionnelles plus anciennes. Le fossé technologique entre les Etats-Unis et l'Irak doit se chiffrer à quelque 25 ou 30 ans, c'est-à-dire deux bonnes générations, si l'on parle d'armements. Et pourtant, force est aux Américains d'admettre aujourd'hui que la résistance irakienne est «tenace et très flexible». Le rapport des pertes entre les deux armées est «acceptable» pour une armée irakienne qui doit riposter à partir d'une position de faiblesse. Ceci prouve que, dans la guerre moderne, ce n'est pas nécessairement la supériorité technique, mais la préparation des hommes, la compétence du commandement et la flexibilité des troupes, qui sont également essentielles. Et, dans ce cas, des systèmes d'armement relativement démodés peuvent infliger de lourdes pertes à un ennemi technologiquement supérieur.

Le commandement de l'armée américaine a commis deux erreurs graves, dans la préparation de cette guerre, lesquelles, aujourd'hui, sont à la base de ce qu'on peut qualifier d'échec stratégique on ne peut plus évident. Malgré le réseau d'espionnage élaboré par les Etats-Unis (e.a. avec les inspecteurs en désarmement), malgré leur supériorité aérienne illimitée, le commandement américain a fait une estimation erronée de l'état de préparation et de la volonté de combattre de l'armée irakienne et de ses capacités technologiques. Les Etats-Unis ont mésestimé lourdement la situation politique et sociale en Irak et dans le monde entier.

Décisions militaires complètement erronées

Le force numérique des troupes était manifestement insuffisante pour une opération d'une telle échelle. C'est pourquoi, aujourd'hui, après 9 jours de guerre, il a été décidé d'incorporer 100.000 hommes en plus.

Nous voyons comment, aujourd'hui, la progression américaine se caractérise par des actions «impulsives». Les troupes tentent de dénicher des «points faibles» dans la défense irakienne pour ensuite effectuer des percées et aller s'enferrer ensuite dans une nouvelle embuscade.

Bien des problèmes ne sont devenus vraiment apparents que sur le champ de bataille même. Il semble qu'il y ait de graves problèmes de coordination entre les diverses unités et services. Des délais de décision très courts et la possibilité d'engager déjà une attaque à longue distance, et voilà que surgit l'inquiétant problème des «friendly fire» (pertes causées par des tirs amis).

Un second problème réside dans l'impossibilité pour les Américains et les Britanniques de conserver les territoires dont ils se sont emparés. Pour la première fois depuis la guerre du Vietnam, les Américains sont confrontés à un mouvement de partisans et à des attaques contre leurs propres lignes de communications et d'approvisionnement.

Le mécontentement croît parmi les soldats américains

On constate une certaine dose de désillusion, parmi les troupes américaines. Bien des soldats estiment qu'on leur a menti et parlent ouvertement de la «stupidité» et des «erreurs de calculs» du commandement de l'armée : «Ces tocards étoilés du Pentagone nous ont promis une marche triomphale avec fleurs et flonflons. Mais tout ce que nous voyons, ce sont ces satanés fanatiques qui se battent pour chaque dune et tout ce sable qui nous colle aux fesses.»

Qui plus est, la qualité de la bouffe s'avère au-dessous de tout. Bien des soldats disent que c'est de la «merde». Les officiers sur le champ de bataille exigent du commandement de l'armée une amélioration immédiate de la situation.

Une autre lacune importante réside dans l'exceptionnelle faiblesse de la défense des arrières, qui se traduit entre autres par des interruptions dans l'acheminement, entre autres, du carburant. Certains chars se sont retrouvés sans essence durant six heures et se sont ainsi mués en cibles idéales pour les Irakiens. Cet approvisionnement en nourriture, munitions et carburant demeure un vilain casse-tête pour le commandement de l'armée.

La force des troupes irakiennes se situe surtout dans leur parfaite connaissance du terrain, dans la haute qualité de leurs positions défensives, dans la qualité et la faculté de riposte de leurs troupes d'assaut et dans la détermination dont elles font preuve au combat. Les structures de commandement et de communications des Irakiens sont très bien organisées et leur stratégie a été très bien pensée. Même derrière les lignes ennemies, on constate que les troupes irakiennes ont été engagées à très bon escient.

Note

(1) http://www.iraqwar.ru/ 28 mars. Sur ce site, un groupe de journalistes et d'experts militaires russes fournissent des informations et des analyses perspicaces et précises (en anglais) sur la guerre en Irak.
Pol De Vos