Al-Moqawama : La résistance irakienne

par Gilles Munier


in AFI-Flash N° 38 du mercredi 8 décembre 2004

 

 


Parler de «guérilleros», d’«insurgés » ou même de «rebelles» pour qualifier les patriotes irakiens, est évidement mieux que de les appeler « bandits», «barbares», «criminels» ou «terroristes» comme le font les Américains et leurs supplétifs irakiens. On comprend que le mot « résistant » leur reste en travers de la gorge, mais pas que des hommes politiques français, ou des journalistes sans fil à la patte, hésitent encore à désigner les combattants irakiens par leur nom.

 

En Irak, la résistance – en arabe : Al Moqawama - existe, se développe et s’organise, n’en déplaise à ses détracteurs. Si les Américains attribuent ses opérations militaires au Jordanien Abou Mussab Al Zarqaoui, devenu selon eux le correspondant d’Oussama Ben Laden, c’est pour minimiser la colère qui gronde, réduire le conflit à une chasse aux terroristes.

 

Le mystère Zarqaoui


On se souvient qu’officiellement la dernière bataille de Falloujah a été déclenchée pour éliminer Al Zarqaoui. En fait, la ville était aux mains des patriotes, et notamment du parti Baas clandestin, autrement plus représentatif que l’organisation théoriquement dirigée par le Jordanien. Au final, après de
multiples bombardements prétendument ciblés, un siège de plusieurs jours, l’assaut des Marines, la destruction de la ville et  le massacre d’une partie de ses habitants, Zarqaoui n’a pas été trouvé. S’il existe, l’homme semble insaisissable. Cette fois, comme dans une bande dessinée américaine, il se serait enfui grâce à un tunnel passant sous les lignes américaines ! Aux dernières nouvelles, il se serait  installé à Mossoul, nouvelle cible de l’armée américaine. Comme par hasard…


Personne ne sait si Zarqaoui est  vivant. Ses anciens compagnons d’armes affirment qu’il est mort au Kurdistan lors du bombardement d’un camp d’Ansar Al-Islam par l’US Air Force, quelques semaines avant l’agression contre l’Irak. Invérifiable ! Oui, mais tout aussi invérifiable le rapport de la CIA le tenant pour simplement blessé et accusant le « régime de Saddam Hussein » de l’avoir amputé d’une jambe dans un hôpital de Bagdad.

 

A l’époque, la CIA cherchait à prouver l’existence de liens entre Saddam Hussein et Al Qaïda. Les Américains n’avaient rien trouvé de mieux que de laisser les Kurdes d’Ansar Al-Islam de retour d’Afghanistan via l’Iran, ouvrir des camps d’entraînement au nord de Halabja. La ficelle était grosse car Bagdad ne contrôlait pas la zone et ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui s’y passait. Le Pentagone refusait d’aider Jalal Talabani à les éliminer, si bien que Tarek Aziz me confia un jour que le gouvernement irakien avait donné au chef kurde opposant les armes qu’il demandait pour reconquérir  la poche islamiste. Quelques jours avant la chute de Bagdad, interpellé par un journaliste, le Vice-Premier ministre irakien niait que Zarqaoui ait été soigné en Irak.
Depuis, le mystère Zarqaoui s’est encore épaissi. L’apparition sur une bande vidéo d’un individu masqué égorgeant le jeune Nicolas Berg, n’est pas convaincante. L’homme désigné par les Américains comme étant l’islamiste jordanien, ne semblait pas handicapé et portait curieusement au poignet une montre ou une gourmette en or, ce qui est contraire aux convictions religieuses des salafistes.


A vrai dire, en Irak, personne n’a jamais vu Abou Mussab Al Zarqaoui, pas plus les habitants de Bagdad, de Kut, de Bassora, que ceux de Falloujah, villes où les services secrets américains ont signalé sa présence. Les Irakiens disent que son nom sert à camoufler toutes sortes de provocations. Reconnaître qu’il est mort, ou qu’il n’a pas l’importance qu’on lui prête, rendrait plus difficile la tâche des propagandistes qui expliquent que la résistance n’existe pas et que le parti Baas est totalement discrédité.

 

Une bombe à retardement


Les Américains n’ont pas seulement en face d’eux un peuple qui réagit à leur occupation. Ils ont contre eux un mouvement de résistance qui, sous des noms divers, est dans sa majorité une émanation du parti Baas clandestin. L’existence de ce noyau dur atténue les rivalités et permet aux autres sensibilités patriotiques – notamment nassériennes et communistes - de se regrouper pour lutter contre l’occupation. Même les organisations dites islamistes comme l’Armée de Mohammad, coopèrent étroitement avec la direction baassiste décentralisée, dirigé par Izzat Ibrahim Al-Douri depuis août dernier.


Comme l’invasion de l’Irak était pour ainsi dire annoncée depuis la première guerre du Golfe, le gouvernement irakien a eu plus de dix ans pour se préparer. L’Armée d’Al-Qods qui faisait sourire les journalistes occidentaux, a permis de sélectionner et de former - parmi 7 millions d’Irakiens - des milliers de résistants potentiels. Ils composent aujourd’hui l’infrastructure des cellules combattantes. Des officiers des moukhabarat sortis des meilleures écoles militaires soviétiques, d’Europe de l’Est ou du Vietnam, ont mis en place des réseaux, des caches d’armes et d’argent. Ils encadrent la résistance, adaptant à la Mésopotamie les enseignements du Général Giap.


Le sénateur américain Norm Coleman (Républicain-Minnesota) a raison de dire que le président Saddam Hussein a détourné l’embargo pour amasser des fonds qui servent aujourd’hui à combattre les Etats-Unis (Le Monde – 2/12/04). C’était son droit et son devoir de chef d’Etat. Il faut être de mauvaise foi pour le lui reprocher, car l’Irak ne possédait plus d’armes de destruction massive et les sanctions n’étaient imposées que pour affaiblir ce pays et permettre aux forces américaines de le conquérir avec un minimum de perte. 

 
On a aussi reproché au président Saddam Hussein d’avoir favorisé la renaissance de courants religieux musulmans en Irak, alors que le Baas était dans l’esprit de certains observateurs étrangers un parti irrémédiablement laïc, au sens occidental du terme. Pour les satisfaire, il aurait fallu que le parti au pouvoir se fige sur des positions idéologiques incompatibles avec la gestion d’une société en voie de désagrégation. Ce qui s’est produit en Irak est une des conséquences de l’embargo économique et culturel. Si le pays a tenu aussi longtemps dans l’adversité, nul ne devrait contester aujourd’hui que c’est grâce à la stratégie adoptée par ses dirigeants : renouveau islamique, 10 000 ans d’histoire magnifiée, respect des traditions ancestrales ; le tout couronné par l’esprit d’organisation et la foi nationaliste arabe des cadres baassistes.

 
Quelle que soit la suite des événements, y compris une guerre civile provoquée, il faut savoir que tout a été fait pour permettre à une nouvelle génération d’Irakiens d’affronter la plus grande puissance du monde. Pour qui n’en connaît pas les mécanismes secrets, l’Irak est une bombe à retardement. En d’autres temps d’autres envahisseurs ont compris ce que cela signifiait. Aujourd’hui, les Américains n’en sont qu’au début de leurs déboires.