EGYPTE II  (2013-19)



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Tunisie, Egypte I, Libye I, etc...
- Le choix des pays arabes : la révolu-sion ou la guerre -




26 janvier 2013

30 juin 2013 - Nouvelle révolu-sion   3 juillet - Putsch militaire   5 juillet   6 juillet   9 juillet - La honte

10 juillet 2013   12 juillet   13 juillet - Morsi et Erdoğan   15 juillet   19 juillet   23 juillet

27 juillet 2013 - Al-Sissi, le Pinochet égyptien   14 août - Massacre à Nasr City   17 août - Bain de sang place Ramsès

18 août 2013   Gazés alors qu'ils tentaient de s'évader   19 août   Au fou !...   8 septembre   19 septembre   4 novembre 2013

8 janvier 2014   24 janvier 2014   23 mars 2014   28 mai 2014

20-21 avril 2015   11 avril 2016   17 juin 2019 - L'étrange mort de Mohamed Morsi


26 janvier 2013 : Deux ans après le début de la révolu-sion égyptienne, un juge issu de l'ancien régime (il n'y en a pas d'autres) condamne à mort 21 Egyptiens "pour leur implication dans les violences de Port-Saïd" (voir page précédente 1er février 2012). A la suite de quoi, des manifestations ont lieu dans cette ville et sont violemment réprimées par les "forces de l'ordre", faisant 30 morts et 300 blessés. On voit que les responsables (et leurs amis étrangers) font tout ce qu'il faut pour relancer la pression. Le pire serait que la situation redevienne normale...

Dans les jours qui suivent, les protestations se transforment en émeutes anti-Morsi, au Caire et dans d'autres grandes villes. Bilan : au moins 20 morts de plus. Est-ce le début du 3ème acte de la révolu-sion ?...


27 janvier 2013 : Dans cet article de Thierry Meyssan, on apprend que sur ordre de l'Elysée, "le général Benoît Puga, parachutiste, spécialiste des Opérations spéciales et du Renseignement, incarnant à la fois la dépendance à Israël et le renouveau du colonialisme, a supervisé, en Egypte, la construction du Mur d'acier qui termine de clôturer la Bande de Gaza et l'a transformée en un ghetto géant."


11 février 2013 : L'Egypte continue d'inonder les tunnels de Gaza

Après deux ans de révolu-sion en Egypte, la situation à la frontière avec le ghetto de Gaza a empiré. Les "islamistes" du Caire, plus que jamais au service de l'Etat voyou juif, font tout ce que demande Tel Aviv (par USA et Qatar interposés) : durcissement des contrôles, saisie de camions chargés de marchandises, inondation des tunnels. Et le passage légal (en surface) de personnes et de matériel est toujours réduit à sa plus simple expression.  Les dirigeants du Hamas, financés par le Qatar pro-israélien, laissent faire et gardent le silence.


15 juin 2013 : Morsi annonce "la rupture définitive des relations diplomatiques avec le régime syrien et le rappel de son chargé d'affaires à Damas". De plus, il "somme le Hezbollah de quitter la Syrie et exhorte la communauté internationale à instaurer une zone d'exclusion aérienne dans ce pays". Les Israéliens, on s'en doute, saluent cette initiative de leur laquais égyptien ; elle les réjouit presque autant que le bouclage de la frontière de Gaza.

Voir également : Liban - Syrie


19 juin 2013 : Morsi nomme gouverneur de Louxor un responsable du massacre de 1997 (62 touristes assassinés par les islamistes).


30 juin 2013 - Nouvelle révolu-sion :

Manifestations des adversaires de Morsi au Caire et dans d'autres villes, accompagnées d'affrontements avec ses partisans. Il y a des dizaines de morts, mais la chose n'est malheureusement pas nouvelle : il suffit de relire la chronologie de la "révolution" égyptienne depuis janvier 2012 pour s'en rendre compte. Rien que du déjà-vu dans ce macabre jeu à trois entre Frères musulmans, militaires et supplétifs de l'Empire américano-sioniste. L'équipement de ces derniers est devenu plus sophistiqué : au lieu de simples pancartes, ils disposent à présent de projecteurs laser. Mais le message est resté le même :


3 juillet 2013 - Putsch militaire :

Un putsch conduit par le général Abdel Fatah Al-Sissi (chef d'état-major) et coordonné avec le Pentagone, renverse le président Morsi. Le revenant Mohamed El-Baradei (voir page précédente) est sur les rangs pour devenir le prochain président dans le cadre d'une "démocratie rétablie". Car bien entendu, Morsi, avec seulement 52 % de supporters, n'avait pas de légitimation démocratique.

La question est maintenant de savoir si les Frères musulmans (et les salafistes) vont accepter ce coup de force. Il suffira peut-être de leur expliquer que c'est pour le bien d'Israël...


4 juillet 2013 : Quatre raisons pour lesquelles Tel Aviv pourrait regretter Morsi (repris de Ha'aretz) - Résumé :

      1 - Il a scrupuleusement respecté les accords passés avec Israël

      2 - Il a maté le Hamas et n'a pas essayé d'empêcher la guerre israélienne de novembre 2012

      3 - Il a détruit les tunnels (et gardé sa frontière fermée)

      4 - Il a toujours été hostile à l'Iran, au Hezbollah et à la Syrie

Dans ces conditions, on se demande bien pourquoi les sionistes l'ont fait virer - peut-être parce que le successeur sera encore plus docile, tout comme Morsi avait été plus docile que Moubarak...


5 juillet 2013 : Morsi, arrêté par les putschistes deux jours plus tôt, est retenu prisonnier "en lieu sûr". Motif : il avait refusé de démissionner comme l'exigeait "le peuple". Cet idiot n'avait pas compris le sens profond de la démocratie occidentale. C'est pas parce que t'es le président régulièrement et démocratiquement élu, avec confirmation écrite de la commission électorale, que t'as le droit de t'incruster quand la rue te dit de dégager. En Amérique, en Europe, en Terre promise, des présidents élus dégagent tous les jours quand ils en reçoivent l'ordre. C'est comme ça...

Et puis, en un an de pouvoir, tous les médias vous le diront, Morsi a ruiné l'économie égyptienne... qui était au top en juin 2012. Il n'a pas fait les réformes nécessaires, comme supprimer les subventions sociales ou reprivatiser le canal de Suez. Et pour ce qui est des pédés, en Egypte, ils n'ont toujours pas le droit de "se marier" ni d'adopter des petits garçons. Un vrai scandale...

Donc l'armée a bien fait d'arrêter Morsi, d'autant plus que Washington avait donné son feu vert. D'autres dirigeants des Frères musulmans et beaucoup de militants ont été kidnappés eux aussi, dans des razzias soigneusement préparées par les généraux et leurs conseillers étrangers. Même chose pour le personnel des stations radio-télé proches de la Confrérie, que les militaires ont fermées dès le 3 juillet. C'est ainsi que fonctionne la démocratie...

Comme le mouvement islamiste, décapité, n'a pas trop réagi* au coup d'Etat démocratique, on en tiendra compte quand il faudra recycler tous ces gens. On ne va pas tarder à recruter des frères pour apporter la démocratie en Syrie. On a besoin de renforts à Homs et Alep. Et pour les sœurs, histoire de les aider à fuir la discrimination islamique, on leur propose déjà des stages de formation au phénomène Femen, avec séances d'entraînement dans l'enceinte de la cathédrale copte du Caire et, pour les meilleures, la perspective d'un voyage gratuit à Rome où elles pourront se produire dans la basilique Saint-Pierre. (Les actions Femen à Lourdes sont provisoirement suspendues pour cause d'intempéries.)

* Il y a bien eu quelques protestations spontanées après la prière du vendredi, mais les forces de l'ordre ont réglé ça de façon démocratique, en tuant par balles une douzaine de manifestants.

Après avoir fait la révolution, le peuple fête sa nouvelle idole, le général Al-Sissi :

Heureusement que comme en 2011 la CIA a donné un petit coup de main au peuple. Le nouveau mouvement populaire s'appelle "Tamarrod" (Rébellion).


6 juillet 2013 : Coup d'Etat anti-Morsi : projet saoudo-américain ? (Al-Manar) :

"Selon le journal libanais Al-Akhbar, les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite ont activement contribué au renversement du président égyptien dans l'objectif d'ouvrir la voie aux prochaines phases de leur projet pour le Moyen-Orient."

Riyad protège les salifistes du parti Nour*, jusqu'à présent alliés des Frères musulmans (qui, eux, ont ou avaient la faveur du Qatar**). Juste avant le coup d'envoi de la nouvelle révolu-sion, les dirigeants de Nour (22,5 % aux dernières élections) ont lâché les Frères musulmans (44,6 %) et rejoint le camp des opposants. Il est fort douteux, cependant, que leurs troupes aient accompli le même revirement.

* Parti de la Lumière, une qualification normalement réservée aux zélus de D... On serait fondé à y voir un signe d'usurpation antisémitique.

** Mais les choses ne sont pas aussi simples, car les Frères musulmans étaient également soutenus par l'Arabie Saoudite, avec le consentement des Etats-Unis et de leur innommable puissance de tutelle. Dès l'instant où un nouveau rôle a été imparti à Riyad (appuyer les militaires, évincer le Qatar), la confiance que les FM égyptiens accordaient à leur sponsor saoudien a causé leur perte.


La concurrence des deux pourvoyeurs de fonds des "printemps arabes" et le recul actuel du Qatar après une ascension fulgurante ces dernières années, est un phénomène que l'on peut également observer dans d'autres pays. Aujourd'hui même, la soi-disant "Coalition de l'opposition syrienne" vient de nommer un "président" pro-saoudien - détails. Et tout récemment, l'émir du Qatar a été poussé par les USA à abdiquer en faveur de son fils, qui est paraît-il plus présentable et plus pro-américain que lui, si tant est que la chose soit possible. Il y aurait donc un rééquilibrage des forces au sommet du camp islamiste, et l'Egypte en subirait le contrecoup. C'est une explication qui vaut ce qu'elle vaut...

Sur le terrain, les partisans des Frères musulmans (et probablement ceux de Nour) subissent la répression des putschistes. Des combats très inégaux ont lieu par endroits. Il y aurait déjà une quarantaine de morts. Au Caire, c'est surtout la banlieue est (Nasr City) qui est touchée.

El-Baradei, en attendant de devenir le prochain président "élu", essaie de forcer la main aux militaires et annonce lui-même sa nomination, bien vite démentie, au poste de Premier ministre. (Le vrai Premier ministre, Hecham Qandil, a été illégalement destitué le 3 juillet et enlevé par l'armée).


8 juillet 2013 : Le sort de Morsi préfigure-t-il celui des Frères musulmans ?  par Thierry Meyssan.

Il n'y a rien à redire pour le titre de l'article. Pour le contenu, c'est autre chose. Meyssan croit que c'est "le peuple" qui a renversé Morsi. Une photo de la place Tahrir accompagne son texte, revêtue d'une légende qui prétend que "sur 84 millions d'Egyptiens, 33 sont descendus dans les rues fêter le coup d'Etat militaire". Sachant qu'il y avait un peu moins de 51 millions d'inscrits aux élections, cela signifie tout simplement que près de deux Egyptiens adultes sur trois (65 %) étaient non seulement contre Morsi, mais qu'ils sont descendus dans la rue pour le clamer haut et fort. Les résultats électoraux disent exactement le contraire, mais Thierry Meyssan prétend qu'ils ont été truqués ("Une étude minutieuse montre que les dés étaient pipés"). Quelle étude, et pourquoi Meyssan n'a-t-il rien dit quand il en a eu connaissance ?

Ce chiffre complètement farfelu de 33 millions est le produit d'une surenchère effrénée. Il nous est asséné quelques jours après que les médias aient parlé d'une pétition anti-Morsi soi-disant signée par 22 millions d'Egyptiens. Ce qui était déjà passablement absurbe quand on sait que le candidat battu par Morsi au second tour de la présidentielle de juin 2012, Ahmed Chafik, avait obtenu 12 millions de voix. Il faut croire que tous ces gens ont signé, y compris les 50 % d'illettrés parmi eux, plus 10 millions d'abstentionnistes repentis. Et 11 millions supplémentaires sont "descendus dans les rues" pour "faire la révolution". Du délire total...

Le patron du Réseau Voltaire affirme aussi que "l'échec de Morsi est un coup dur pour l'Occident".  Elle est bien bonne, celle-là !... C'est comme lorsque le sociologue américain James Petras écrivait sur le site de Michel Collon que la CIA et le Mossad avaient été incapables de prévoir la "révolution" égyptienne de 2011.

A peu près au même moment, d'ailleurs, Thierry Meyssan prédisait que le gouvernement américain "mettrait tout en œuvre pour empêcher des élections démocratiques en Egypte. S'il peut s'accommoder d'un gouvernement légitime en Tunisie, il ne le peut pas en Egypte. Des élections profiteraient aux Frères musulmans et aux Coptes. Elles désigneraient un gouvernement qui ouvrirait la frontière de Gaza et libérerait le million de personnes qui y sont enfermées. Les Palestiniens, soutenus par leurs voisins, le Liban, la Syrie et l'Egypte, renverseraient alors le joug sioniste..."  (source - voir "septièmement" - à comparer avec la situation réelle...)  Et aujourd'hui, ce même Meyssan nous raconte que les USA ont "pipé les dés" pour donner le pouvoir à des Frères musulmans dont ils redoutaient la politique prétendument anti-israélienne... N'importe quoi...

Si le Qatar, protecteur des Frères musulmans, semble maintenant avoir perdu la main en Egypte, au profit de l'Arabie Saoudite, protectrice des salafistes (voir un peu plus haut 6 juillet), c'est que les Etats-Unis en ont décidé ainsi. La vraie révolution égyptienne, si jamais elle survient un jour, ne sera certainement pas diffusée en boucle sur nos écrans... Thierry Meyssan devrait avoir suffisamment d'instinct politique pour comprendre cette règle élémentaire.

Ce n'est pas en recopiant les "arguments" des services de propagande américains, qu'on arrivera à comprendre ce qui se passe en Egypte.

Qu'on aime les Frères musulmans ou pas, il est indéniable qu'ils viennent d'être victimes d'un putsch militaire. Et à moins d'affirmer que le putsch est un moyen légal et légitime de marquer ses préférences quand la démocratie favorise les gens qu'on déteste, il est non seulement illogique mais aussi profondément pervers d'applaudir les putschistes. Surtout quand on leur trouve des "excuses" cousues de fil blanc pour "justifier" leur action. Les coups d'Etat sont assez fréquents dans l'histoire contemporaine, et il faut dire qu'en général l'opinion s'en moque. Ce qui est scandaleux, dans le cas de l'Egypte, c'est que tout cela a lieu au nom de la démocratie. La légalité sélective est une chose assez écœurante...

Cinq jours après le coup de force, les putschistes continuent de tuer : encore plus de 50 morts aujourd'hui. Les islamistes étaient armés, prétendent les médias - armés... de deux ou trois cocktails Molotov. Les salafistes du parti Nour, apparemment choqués par la réalité sur le terrain, font légèrement marche arrière. Non qu'ils cessent de soutenir le putsch, mais ils se retirent des négociations en vue de la mise en place d'un nouveau "gouvernement". S'ils lâchent Al-Sissi comme ils ont lâché Morsi, la belle révolu-sion 2.0 s'effondre. Bien entendu, ces salafistes ne sont pas meilleurs que les Frères musulmans. Les terroristes, égorgeurs et autres cannibales de la Légion arabe de la CIA et du Mossad (comme dit Webster Tarpley) se recrutent chez les uns comme chez les autres.

Dans le Sinaï, les attaques contre les militaires égyptiens (et, pour la énième fois, contre le pipe-line qui alimente la Jordanie et Israël) semblent reprendre. Mais comme elles sont endémiques et qu'on n'en parle presque pas en temps normal, on se demande si elles ont un rapport avec le putsch. Peut-être dans la mesure où les services israéliens, qui s'efforcent depuis toujours d'affaiblir l'armée égyptienne, estiment que le moment est propice, d'autant plus qu'ils sont eux-mêmes coresponsables de ce qui se passe au Caire. On a l'impression que les sionistes ont prévu pour l'Egypte une guerre civile à la syrienne. De toute façon, tous les territoires compris entre leur frontière occidentale et le Nil leur appartiennent de droit (donation divine documentée par la Bible hébraïque).


9 juillet 2013 : Les Frères musulmans appellent leurs partisans au soulèvement. Ont-ils les armes nécessaires pour donner suite à cet appel ? On peut en douter. Il va donc falloir leur en fournir ; une guerre civile à mains nues, ça risque de manquer d'efficacité. Alors, Qatar, USA, Turquie, à vous de jouer... Et vous aussi, Frères du Hamas, vous aurez bien quelques roquettes rouillées pour vos Frères égyptiens qui ont tant fait pour vous quand Morsi était au pouvoir. De toute manière, vous n'en avez plus besoin contre Israël, maintenant que le Qatar vous a interdit de lever la main contre son cher allié de Tel Aviv.

Les militaires égyptiens qui font la guerre à leur propre peuple (c'est l'expression consacrée), savent assez bien manier l'arme de la propagande. Ils font circuler des vidéos qui "prouvent" que les manifestants islamistes sont de "dangereux terroristes". A croire que les putschistes ont pris des leçons chez leurs collègues tsahalos. Leur vidéos font penser aux chefs-d'œuvre produits à Tel Aviv en juin 2010, après le massacre de la flottille turque - mais en moins bien, évidemment, faut quand même pas être antisémite...

La honte :

Soutenez-vous un coup d'Etat militaire, M. Meyssan ? - Après son nullissime article de la veille, Thierry Meyssan, en réponse à des lecteurs inquiets, persiste et signe : pour lui, "les Frères musulmans sont une secte de putschistes" (sic). On est en plein délire orwellien... Pour ce qui est de la "secte", faut-il rappeler que les Frères musulmans (parti PLJ) ont obtenu 44,6 % des sièges aux législatives de 2012 (source : Wikipédia), et leur leader Morsi près de 52 % des voix au second tour de la présidentielle (source : Wikipédia) ?  Pas mal pour une secte...

Meyssan essaie de "prouver" que Morsi n'a pas été démocratiquement élu. Pour cela, il falsifie les chiffres, prétendant qu'il y a eu 65 % d'abstentions au second tour de la présidentielle : c'est faux, il y en a eu 48 % (source : Wikipédia). Morsi aurait obtenu moins de 12 millions de voix : c'est faux, il a obtenu 13.230.000 voix (même source). Il y aurait en Egypte 70 millions de personnes en âge de voter : c'est non seulement faux (il y en a un peu moins de 51 millions* - même source), c'est tout bonnement risible. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la pyramide des âges (tableau de l'Université de Sherbrooke au Québec) pour s'en convaincre.

Il y avait, en 2010, 31 millions d'Egyptiens de moins de 18 ans (9,6 + 8,8 + 7,9 + 3/5 de 7,7), soit 32 millions en 2012 compte tenu du taux de croissance annuel de 1,9 %. Toujours en 2010, on comptait 13 millions de moins de 7 ans (9,6 + 2/5 de 8,8), soit 13,5 millions en 2012. Et 11,4 millions de moins de 6 ans (9,6 + 1/5 de 8.8), soit 11,8 millions en 2012.  Pour parvenir à un chiffre de 70 millions de personnes en âge de voter, il faudrait déduire du nombre total d'habitants (84 millions en 2013, 82,5 millions en 2012) 12,5 millions d'enfants, c'est-à-dire tous les enfants de moins de 6 ans et quelque. En d'autres termes, il faudrait accorder le droit de vote à tous les Egyptiens de plus de six ans et demi. Bravo, c'est à peu près aussi pertinent que l'histoire des mercenaires israéliens de Kadhafi à 3 milliards de dollars par mois, que Meyssan avait bêtement colportée en 2011 (détails) avant de découvrir qu'il était un admirateur du "guide" libyen.

* Wikipédia écrit par erreur "Suffrages exprimés" au lieu de "Electeurs inscrits" - on le comprend immédiatement en voyant le contexte. D'ailleurs la version anglaise utilise l'expression "Registered voters".

Pour la privatisation du canal de Suez dont parle Meyssan, il est vrai que c'est un scandale - comme la plupart des privatisations - mais elle est encore à l'étude, et les discussions à ce sujet ont commencé avant l'arrivée de Morsi au pouvoir. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une raison valable pour le destituer, pas plus d'ailleurs que sa politique violemment antisyrienne. Quant à "Tamarrod" (Rébellion), c'est un "mouvement" de type "révolution colorée" créé par la CIA et ses dépendances (voir plus bas 15 juillet).

Cet article de Thierry Meyssan, où l'auteur se livre à maintes contorsions pour justifier l'injustifiable, sous prétexte que le putsch frappe un groupe qui "le mérite bien", est tout simplement répugnant.* En raisonnant de cette manière, on avalise automatiquement tous les excès, toutes les guerres "préventives", toutes les interventions "humanitaires", toutes les répressions, tous les totalitarismes - pourvu que ce soit pour "la bonne cause"... Avec de semblables arguments, on pourrait aussi bien légitimer un putsch contre Maduro ou Poutine, ou une mise hors-la-loi du Hezbollah...  A quoi bon s'exciter à propos du 11 septembre, si c'est pour reprendre, à son niveau, les modes de pensée qui en découlent. On devrait dresser une liste des organisations dignes de bénéficier des règles de la démocratie, et une autre de celles qui ne le méritent pas. On saurait au moins à quoi s'en tenir...

* On croirait lire - c'est de l'histoire ancienne - une de ces justifications soviétiques de l'intervention à Prague en août 1968 (invasion miltaire américano-ouest-allemande soi-disant imminente) ou encore l'explication du coup d'Etat de la CIA en Indonésie en octobre 1965 (un million de morts) par un putsch imaginaire qu'auraient préparé les communistes. On pourrait citer des dizaines d'exemples similiaires.

Un coup d'Etat planifié par les militaires  par Claire Talon (Le Monde) :

■  La destitution du président égyptien a été décidée par les militaires dès le 23 juin, une semaine avant la première manifestation. [On imagine bien la réunion secrète Armée-CIA-Tamarrod pour fixer la date de la manif "spontanée".]

■  Al-Sissi a dit à Morsi : "Ou vous partez, ou on vous met en prison..." Ironie du sort, c'est Morsi qui avait nommé Al-Sissi à la tête de l'armée [sur recommandation des Etats-Unis].

■  Ayant appris que Morsi cherchait des soutiens dans l'armée, Al-Sissi a envoyé des troupes d'élite s'assurer des commandants contactés par le président.

■  Depuis des mois, il y avait des coupures d'électricité et des pénuries de gaz et d'essence, ce qui a miné la légitimité de Morsi. Tout cela a cessé comme par enchantement dès que Morsi a été destitué. [Comme au Chili, quand le général Pinochet a renversé le président Allende, le 11 septembre 1973 - voir plus bas.]

Un putsch militaire, ça s'organise. Si la décision définitive n'a été prise que dix jours avant le coup d'Etat, les préparatifs étaient certainement en cours depuis l'élection du président.


10 juillet 2013 : Le parti Nour, qui avait tourné le dos aux "négociations" avec la junte après le massacre du 8 juillet, vient de changer d'avis, cédant aux arguments financiers de l'Arabie Saoudite. Riyad accorde une aide de cinq milliards de dollars à l'Egypte, et ce serait bien le diable si les dirigeants salafistes ne recevaient pas une part du gâteau. C'est d'ailleurs probablement le même genre d'argument qui les a poussés à lâcher les Frères musulmans, donnant ainsi le feu vert aux putschistes.

Depuis juin 2012, le parti Nour (22,5 % aux élections) participait au gouvernement Hecham Qandil, aux côtés des Frères musulmans du PLJ (Parti de la Liberté et de la Justice - 44,6 %) et d'un autre petit parti religieux, Al-Wasat (Parti du Centre - 2 %). Ce gouvernement, qui comprenait aussi un certain nombre de technocrates "indépendants", représentait donc plus de 69 % des électeurs. C'est la réalité des chiffres, rien à voir avec le mythe meyss(i)anique des "33 millions" (8 juillet).

A la place du gouvernement légal, les putschistes instaurent un "gouvernement provisoire" avec à sa tête un certain Hazem El-Beblaoui. Ce "social-démocrate" diplômé de la Sorbonne est la feuille de vigne de l'Arabie Saoudite et des Emirats. El-Baradei, marionnette favorite des généraux, devient vice-président chargé des Relations internationales, pour ainsi dire l'homologue de Fabius Israélicus. Les Egyptiens vont enfin connaître les joies de la démocrasserie occidentale.

Robert Fisk : Quand cela arrive en Égypte, on ne parle pas de putsch... - Un article un peu confus par endroits, mais qui contient quelques remarques très justes :

"Pour la première fois dans l'histoire du monde, un coup de force n'est pas un coup de force. L'armée se soulève, dépose et emprisonne un président démocratiquement élu, suspend la constitution, arrête les habituels suspects, boucle la télévision et amasse ses blindés dans les rues de la capitale. Mais l'expression 'coup d'Etat' ne doit pas - et ne peut pas - franchir les lèvres de ce faux-cul d'Obama. L'inconsistant secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, n'a pas non plus été capable de prononcer des mots aussi outrageants. Difficile d'imaginer qu'Obama ne soit pas au courant de ce qui se passe. Au Caire, des tireurs isolés ont abattu 15 manifestants cette semaine depuis les toits de la même université où il avait prononcé son 'fameux' discours de 2009 à l'adresse du monde musulman..."

"Ces dirigeants occidentaux qui nous disent avec une hypocrisie candide que l'Egypte est toujours sur le chemin de la 'démocratie', qu'il s'agit d'une période 'intérimaire' et que des millions d'Egyptiens approuvent ce putsch qui n'en est pas un, devraient se souvenir que Morsi a tout de même été élu dans des élections validées par l'Occident. Il est vrai qu'il a gagné avec 51 % des voix - voire 52 %. Mais George W. Bush avait-il réellement remporté sa première élection présidentielle ? Et Morsi disposait d'un soutien populaire certainement plus large que celui dont bénéficie David Cameron. [Si Morsi a perdu sa légitimité quand il a cessé d'être soutenu par] la majorité des Égyptiens, cela signifie-t-il que les armées européennes doivent prendre le pouvoir lorsque les Premiers ministres européens tombent en dessous de 50 % dans les sondages ? Et tant que nous y sommes, les Frères musulmans doivent-ils être autorisés à participer à de prochaines élections ? Et s'ils y participent, qu'arrivera-t-il si leur candidat gagne à nouveau ?..."

En attendant que les prochaines élections, mieux "organisées" que celles de 2012, se soldent par des résultats politiquement corrects, le nouveau "Premier ministre" El-Beblaoui, magnanime, offre aux Frères musulmans deux ou trois strapontins dans son "gouvernement", que ceux-ci ont la dignité de refuser. S'ils avaient accepté cette humiliation, ils auraient par la même occasion abandonné leur clandestinité, ce qui aurait arrangé la junte et l'appareil judiciaire à ses ordres. En effet, les responsables politiques du PLJ et le chef spirituel du mouvement sont recherchés par les militaires qui ont ordonné leur arrestation. On ignore toujours où se trouvent les dirigeants et militants kidnappés le 3 juillet, à commencer par Morsi et son chef de gouvernement.



AL-SISSI SAURA-T-IL SE MONTRER À LA HAUTEUR ?

Le Wall Street Jewrnal, joyau de la presse sioniste, espère que oui :


"Les Egyptiens auraient de la chance si les généraux qui les dirigent maintenant pouvaient être de la trempe du Chilien Augusto Pinochet, qui prit le pouvoir au milieu du chaos mais fit appel à des réformateurs libéraux et rendit possible une transition vers la démocratie. Si le général Al-Sissi essaie simplement de restaurer l'ancien régime de Moubarak, il finira par subir le sort de Morsi."

Quelques remarques :

■  Le chaos qui servit de prétexte à Pinochet pour renverser (et faire assassiner) le président légitime du Chili, Salvador Allende, avec l'aide de la CIA et du criminel de guerre (juif) Henry Kissinger, conseiller en "sécurité" du président américain Richard Nixon, ce chaos (économique) fut généré par les putschistes et leurs complices, notamment en organisant le sabotage et la pénurie ("grèves" patronales des entreprises de transport, etc.)

■  Les "réformateurs libéraux" en question sont les "Chicago Boys" de triste mémoire, formés à l'école de l'économiste (juif) Milton Friedman, qui annulèrent toutes les avancées sociales réalisées sous le gouvernement Allende entre 1970 et 1973, et allèrent plus loin encore dans la régression en instaurant leur capitalisme de rapine (phénomène décrit par Naomi Klein dans son livre La stratégie du choc - 2007).

■  Pinochet n'a pas "fait appel" à ces gens, c'est eux qui ont fait appel à lui.

■  La démocratie existait au Chili - et même à un niveau plus élevé que jamais - avant que le fasciste Pinochet ne la détruise pour établir sa sanglante dictature.


12 juillet 2013 : La répression à l'encontre des Frères musulmans se poursuit. L'armée se livre à une véritable chasse à l'homme pour s'emparer des dirigeants encore en liberté, tandis que la "Justice" bloque les comptes de la Confrérie et confisque ses biens. Dans un pays où la corruption est omniprésente, il est évident que chefs militaires et magistrats complices veulent se partager le butin. Les Frères musulmans, généreusement financés ces dernières années par de riches entrepreneurs égyptiens et par l'émir du Qatar, constituent une proie de choix pour les nouveaux maîtres de l'Egypte.

Néanmoins, les partisans de Morsi manifestent par centaines de milliers (j'allais dire par trente-troisaines de millions) pour réclamer la libération du président et le rétablissement de la légalité. Mais là, bien entendu, les images ne passent pas en boucle à la télé.


Mauvaise nouvelle pour Thierry Meyssan - son record vient d'être battu :

Il faut avouer cependant que "33" est un chiffre bien plus "rond" que 34.
Et il s'exporte beaucoup mieux, ce qui est la moindre des choses pour une révolution.


Certains journalistes commencent à douter de la version officielle : Une inflation de manifestants (Catherine Gouëset dans L'Express) :

"Pour le nombre de manifestants présents dans les rues, le 30 juin, alors que les agences de presse internationales se contentaient d'évoquer des dizaines de milliers de personnes, l'armée en comptait 17 millions, soit plus que les 13,2 millions d'électeurs qui ont voté pour Mohamed Morsi lors de la présidentielle de 2012... Plusieurs éléments laissent à penser que le 'soulèvement populaire' à l'origine du renversement du président Morsi pourrait avoir été moins spontané qu'on ne l'a cru dans un premier temps..."

Catherine Gouëset signale aussi que les pénuries ont cessé dès la destitution du président, notamment les pénuries de fioul, qui s'étaient multipliées partout, empêchant le fonctionnement des générateurs qui servent à la climatisation ou au pompage de l'eau pour l'irrigation des champs. De plus, les patrouilles de police ont fait leur réapparition après la chute de Morsi : "La police, très décriée en 2011 pour sa notoire brutalité, puis refusant de déployer toutes ses forces alors que la criminalité augmentait, est intervenue lors des affrontements de la semaine passée en tirant contre les manifestants pro-Morsi et en les aspergeant de gaz lacrymogène, ce qui lui a valu de se faire encenser par les manifestants hostiles au président renversé. Des posters sont apparus montrant un policier entouré d'enfants souriants avec le slogan « Votre sécurité est notre mission, votre tranquillité notre but »..."


Petit boulet islamiste et gros boulet militaire :

Comment le dessinateur brésilien Carlos Latuff voit la situation en Egypte.
(Le problème, c'est que "le peuple" n'a jamais tenu la hache,
et que pour la majorité des Egyptiens, Morsi n'était pas un boulet.)

Selon cet article du Nouvel Obs, les dirigeants du parti Nour, qui ont lâché leurs alliés Frères musulmans pour se joindre aux putschistes, commencent à subir les conséquences de leur geste : "L'opportunisme d'Al-Nour a surpris bon nombre d'Egyptiens. Les sympathisants islamistes ont crié à la trahison et certains partisans d'Al-Nour ont même décidé de grossir les rangs des manifestants pro-Morsi..."

Mais le plus curieux est que "Nour est plus radical que les Frères musulmans sur le plan idéologique. Les salafistes sont plus rigoristes et plus orthodoxes." Pour Samir Amghar, chercheur à l'Université du Québec à Montréal, cité dans l'article, "les Frères musulmans apparaissent au regard des salafistes comme une force plus progressiste." Et le journal ajoute : "A l'écart de la politique pendant très longtemps, les salafistes ont su, comme la Confrérie, infiltrer la société grâce à un vaste réseau d'entraide sociale. Depuis toujours la concurrence entre les deux existait non pas sur le terrain politique mais sur le terrain de la prédication religieuse."

Amghar : "Les salafistes du parti Nour espèrent récupérer les voix des Frères musulmans lors des prochaines élections... L'armée a besoin d'eux pour ne pas apparaître comme une force anti-islamiste. En s'alliant avec Nour, l'armée court-circuite d'éventuelles critiques. C'est la garantie pour elle d'avoir une caution islamiste, une caution populaire... Nour a été le seul parti islamiste a avoir pris fait et cause pour la destitution de Mohamed Morsi, une exception dans le paysage islamiste. La stratégie est risquée. Ils peuvent s'aliéner tout l'électorat islamiste qui va être tenté de dire qu'Al-Nour n'est finalement qu'un parti contre-révolutionnaire, allié de l'armée, proche de l'ancien régime d'Hosni Moubarak..."

Comme quoi le boulet n'est pas forcément celui que l'on croit...


Dans le Sinaï, la situation semble s'aggraver. Un général envoyé par la junte à El Arich pour organiser la "lutte contre les islamistes", aurait échappé de justesse à un attentat de groupes armés. En vertu des accords israélo-égyptiens de 1979, le Sinaï est démilitarisé. Quand Le Caire y envoie des troupes, c'est toujours avec la permission de Tel Aviv.

Il est probable que les milices islamistes qui agissent dans le secteur sont téléguidées depuis Israël pour provoquer une réaction de l'armée égyptienne. Tant que les soldats et les extrémistes s'entretuent, ils ne songent pas à "libérer la Palestine", si tant est qu'ils en aient jamais eu l'intention. Finalement, les militaires égyptiens protègent l'Etat voyou juif des "dangers" que celui-ci a lui-même créés. Et le ghetto de Gaza reste plus isolé que jamais.

Les seuls à profiter de la situation sont les sionistes. Leur arme préférée est la guerre de religion et le sectarisme ethnique. Ce dernier est difficilement utilisable en Egypte, où 99 % des habitants sont arabes. Il n'y a pas non plus de chiites, c'est bien dommage, mais il y a des coptes. L'un deux aurait été retrouvé mort dans le Sinaï, décapité. Ce sont des choses qui impressionnent le public, mais pour le moment, il n'existe pas de groupe armé chrétien pour lancer des "représailles". Le Mossad va peut-être étudier la question. S'il ne trouve pas de recrues, il lui faudra déguiser quelques-uns de ses hommes en "vengeurs coptes".

Pour en revenir aux islamistes, la question est de savoir quels rapports existent vraiment entre ces gens qui opèrent dans le Sinaï et les Frères musulmans du Caire. La Confrérie a de multiples visages : riches hommes d'affaires, cadres occidentalisés et pro-américains (comme Morsi), petit peuple modeste, grande pauvreté mais solidarité sociale, discours religieux tantôt modéré et tantôt fanatique, non-violence et "djihad" extrême... Cette diversité permet toutes les interprétations et toutes les manipulations.


13 juillet 2013 - Morsi et Erdoğan :

On a souvent comparé, ces derniers jours, la situation en Egypte avec la récente agitation en Turquie.

Dans un cas comme dans l'autre, on a affaire à un président (ou Premier ministre) islamiste (à Ankara : Recep Tayyip Erdoğan), élu par une majorité d'électeurs (majorité relative de 47 % en Turquie) et fortement influencé ou manipulé par le camp américano-sioniste. Morsi et Erdoğan se sont tous deux lancés, à la demande de leurs maîtres de Washington, dans une aventure antisyrienne tout à fait contraire aux intérêts de leurs pays. Tous deux ont été bien mal payés de retour - c'est toujours le cas quand on fraye avec le diable.

Une fois tombés en disgrâce, ils n'ont plus été considérés comme démocratiquement élus. On les a traités de dictateurs, de despotes archaïques, de tyrans obscurantistes. On s'est mis à comploter contre eux, alors que peu de temps auparavant, ils étaient donnés en modèle pour prouver que les musulmans, quand ils font un effort... on connaît la suite.

Erdoğan avait vu venir les coups, ayant fait l'expérience de la répression (trois ans de prison en 1998-2001, pour "incitation à la haine suite à la lecture d'un poème du nationaliste turc Ziya Gökalp"). Après son arrivée au pouvoir en 2003, et surtout après sa réélection en 2007 et 2011, il a fait épurer l'armée turque de ses éléments les plus opposés à sa politique (qui sont aussi les plus subversifs et les plus mafieux - voir le début de cet article de Léon Camus : Grands procès et épuration de l'armée kémaliste).

Morsi, bien qu'ayant été lui aussi emprisonné, sous Moubarak avec de nombreux autres dirigeants des Frères musulmans, n'a rien entrepris contre les militaires ; il n'en a eu ni le temps ni le pouvoir. Il se retrouve donc de nouveau en prison - du moins on le suppose, il s'est peut-être déjà "suicidé".

S'il n'y avait eu, en Egypte, qu'un mouvement téléguidé comme celui du Parc Gezi d'Istanbul (sans militaires), Morsi serait toujours là. Malheureusement pour lui, l'armée égyptienne, contrairement à la turque, n'avait pas été mise au pas.

Evolution à suivre, en Egypte comme en Turquie... Certains pensent qu'Erdoğan ne va pas tarder à rejoindre son co-islamiste Morsi - en toute démocratie...


14 juillet 2013 : Tandis que les Etats-Unis et l'Allemagne demandent du bout des lèvres la libération du président déchu (la Turquie beaucoup plus clairement, c'est logique), les putschistes donnent l'ordre aux magistrats ripoux d'ouvrir à l'encontre de Morsi une procédure pénale pour "espionnage, incitation à la violence et destruction de l'économie".

En fait, ce sont les militaires (et leurs "conseillers" américains) qui ont saboté l'économie pour dresser la population contre Morsi (voir plus haut 9 juillet et 12 juillet). Ce sont aussi les militaires qui ont recouru (et pas seulement incité) à la violence, en tuant une centaine de manifestants, dont plus de cinquante le 8 juillet. Quant à "l'espionnage" auquel se serait livré le président, on se demande bien en quoi il consiste. Morsi n'était ni plus ni moins que les putschistes qui l'ont déposé, au service de puissances étrangères actives depuis le début de la "révolution".  Pourquoi le juger lui, et pas la junte ? Pourquoi pas un procès comme en Turquie, pour complicité des militaires dans les manigances de "l'Etat profond" ? (voir quelques lignes plus haut, l'article de Léon Camus)

Reuters écrit et s'étonne : "Les services du procureur général ont publié un communiqué affirmant avoir reçu des plaintes* visant Mohamed Morsi et huit autres responsables islamistes dont le guide de la Confrérie, Mohamed Badie. Le dépôt des plaintes est la première étape de la procédure pénale, permettant au ministère public d'entamer des investigations qui pourraient déboucher sur des inculpations. L'annonce faite par le parquet [de l'ouverture d'une procédure pénale] est relativement inhabituelle car celui-ci attend d'ordinaire d'avoir procédé à des inculpations pour annoncer publiquement l'existence d'une procédure judiciaire."

Au diable les règles de procédure. Les ordres sont les ordres...

* Qui a porté plainte : les généraux, les saboteurs, "l'ONG" Tamarrod payée par la CIA, ou les magistrats eux-mêmes ?...

Les auteurs du coup d'Etat continuent de nier qu'il y ait eu un coup d'Etat. Demain, ils vont prétendre qu'il n'y a pas d'armée en Egypte...



RÉVOLU-SION 2.0

Le rôle des Occidentaux en général, et d'El-Baradei en particulier :

Source

Kawther Salam est une journaliste palestinienne d'Hébron exilée en Autriche. Dans son article du 8 juillet (8 juin est de toute évidence une erreur), elle écrit sous le titre "Egypte : une révolution achetée pour 6 milliards de dollars" :

"Selon des sources égyptiennes, les pays occidentaux ont fabriqué et financé l'oppostion égyptienne moyennant environ six milliards de dollars* l'année dernière. L'argent a servi à payer des Egyptiens pauvres* afin qu'ils participent à des manifestations dirigées contre le premier président élu du pays, le Dr Mohamed Morsi [doctorat de l'Université de Californie du Sud à Los Angeles], de manière à manipuler l'opinion publique et créer une atmosphère propice à porter au pouvoir leur agent Mohamed El-Baradei."

"Lorsque la révolution de 2011, qui fut également initiée par les Occidentaux et les sionistes, échoua et qu'ils ne parvinrent pas à mettre en place El-Baradei, les conspirateurs corrigèrent le tir et firent le nécessaire pour que la prochaine fois, leur sournoise créature se retrouve solidement installée au pouvoir en Egypte. En 2011, malgré tous les efforts entrepris, El-Baradei n'avait pas réussi à obtenir de poste au sein du gouvernement."

"Il a tout simplement mauvaise réputation : plus de 60 % des Egyptiens ne lui font pas confiance et l'accusent d'être un agent des USA, du sionisme et des pays occidentaux. Ce qui s'est avéré vrai, puisque la première mesure qu'El-Baradei compte prendre sera l'enseignement obligatoire de 'l'holocauste' dans les écoles égyptiennes. Cette fois-ci également, malgré les dépenses massives et le méga-spectacle de la 'révolution populaire', installer El-Baradei au pouvoir est une entreprise plutôt difficile." [Deux jours plus tard, le 10 juillet, les putschistes nomment El-Baradei "vice-président" par intérim. Est-ce un premier pas vers "le pouvoir" ?...]

* On aimerait bien savoir quelle partie de cette somme (plus de quatre fois ce que les USA allouent à l'armée égyptienne) est vraiment allée dans la poche de manifestants pauvres...



BIEN DIT :

Source : un forum de discussion du journal libanais Al-Akhbar (The News)

"J'ai une immense aversion pour Morsi et les Frères musulmans à cause de leur alliance avec les extrémistes salafistes, leurs propres tendances takfiristes, leur alliance avec les USA, leur acceptation d'Israël et leur soumission à un cinglé de dictateur qatari. Mais un coup d'Etat est un coup d'Etat. Aujourd'hui c'est l'Egypte. Demain, qui sait quel gouvernement les USA vont renverser dans un 'putsch démocratique'..."


15 juillet 2013 : Selon le journal libanais Al-Akhbar, sept morts et plus de 260 blessés au Caire au cours de manifestations pro-Morsi réprimées par la junte. Les événements sont quasiment passés sous silence par les télés occidentales qui leur consacrent tout au plus trente secondes. L'armée bloque les accès à la place Tahrir pour que le monde entier puisse voir le vide qui y règne. Reuters écrit que "les forces de l'ordre sont intervenues pour mettre fin à des accrochages entre des pro-Morsi et des automobilistes ou des passants du quartier de la rue Ramsès mécontents de voir les manifestants bloquer l'une des principales artères de la ville". Quelques jours plus tôt, apparemment, ces "automobilistes" et "passants" pro-putsch ne voyaient pas d'inconvénient à ce que les artères de la ville soient bloquées par une foule de 33 millions (©Thierry Meyssan - 8 juillet) ou 34 millions (©Nawal El-Saadawi - 12 juillet). C'est peut-être parce que ces 33 ou 34 millions étaient bien disciplinés et s'efforçaient de ne pas déborder de la place Tahrir.

Les USA continuent de faire comme s'ils étaient neutres et envoient leur émissaire William Burns au Caire pour y jouer les médiateurs. Il paraît que personne ne l'aime en Egypte parce qu'il a tendance à s'ingérer dans les affaires du pays. Non, sans blague ?... Pareil pour l'ambassadrice américaine Anne Patterson, surnommée "la sorcière". Tamarrod en profite pour "prendre ses distances", ce qui ne manque pas de saveur quand on sait que cette "ONG révolutionnaire" est financée par la CIA. Elle a été "fondée" il y a trois mois par un certain Mahmoud Badr, qui a "milité" à l'Association Nationale pour le Changement que préside... El-Baradei - la boucle est bouclée.

Tamarrod, qui est associé au Mouvement du 6 avril (l'avatar printano-égyptien du mouvement "révolutionnaire coloré" Otpor de Belgrade), va également s'établir en Tunisie et dans d'autres pays arabes. Comme le showbiz dont elle fait un peu partie, la révolu-sion est partout, et elle recrute sans cesse de nouvelles stars. Mais si les noms et les visages des chouchous médiatiques changent souvent, derrière les coulisses tout reste comme en 2011.


16 juillet 2013 : La junte militaire met en place un "gouvernement" dans lequel le général Al-Sissi est à la fois "vice-Premier ministre" et "ministre de la Défense" : charité bien ordonnée commence par soi-même. Il n'y a bien entendu aucun islamiste dans ce "cabinet civil", qui mériterait plutôt le nom de cabinet d'aisances tant les putschistes en prennent à leur aise avec la démocratie. La veille, plusieurs chefs militaires égyptiens ont d'ailleurs effectué un voyage éclair à Tel Aviv en compagnie de leur pantin El-Baradei, afin d'y recevoir personnellement les ordres concernant Gaza et le Sinaï. Pour ce qui est de la visite réglementaire à Yad Vashem, elle n'a malheureusement pas pu avoir lieu faute de temps ; on se rattrapera plus tard.

En attendant, Erdoğan refuse de reconnaître le "nouveau gouvernement" égyptien et déclare qu'il considère que Morsi est toujours le président. Le Premier ministre turc se permet même de snober Baradei qui l'avait appelé au téléphone pour lui "expliquer" la situation. "Les Egyptiens ne resteront pas immobiles et vont lutter contre ce coup d'Etat", affirme l'homme fort d'Ankara - on verra... Gageons qu'Erdomuche cessera de bouder lorsque Washington lui aura ordonné de "se réconcilier" avec Le Caire. C'est ainsi que les choses s'étaient passées lors de sa "brouille" avec Israël, et il n'y aucune raison pour que ce soit différent avec l'Egypte.


18 juillet 2013 : Le général Oussama Askar (peut-être un de ceux qui sont allés à Tel Aviv) accuse le Hamas de vouloir "terroriser" la population égyptienne et d'avoir introduit dans le pays 19 roquettes que l'armée a réussi à confisquer quelque part entre Suez et la capitale. "Il y en avait assez pour détruire tout un quartier", prétend le général.

La ville de Suez, située à l'extrémité sud du canal, se trouve à 200 km à vol d'oiseau de la frontière de Rafah. Dire que ces armes - si elles existent - viennent du ghetto de Gaza ne tient pas debout, d'autant plus qu'il s'agit paraît-il de roquettes Grad. Si le Hamas ou un autre groupe palestinien disposait d'un tel arsenal, ça se saurait... Evidemment, il y a longtemps que les mythomanes sionistes le disent (exemple), mais c'est bien là le problème. Les putschistes reprennent tout simplement les "arguments" des hasbaratineurs israéliens. Simultanément, ils ont verrouillé la frontière comme jamais auparavant. Plus rien ne passe, ni armes ni vivres. Les militaires égyptiens ne massacrent pas seulement leur propre peuple (pour reprendre une expression chère aux médias sionisés), ils affament aussi les Gazaouis bien plus que ne le faisaient Morsi et Moubarak. Et ils sont les porte-voix de la propagande israélienne.

Les menaces à peine voilées que les putschistes font peser sur Gaza s'ajoutent à celles qui émanent d'Israël. Le site sioniste DebkaFile annonce avec satisfaction que les forces américaines et israéliennes sont en état d'alerte, que la bande de Gaza est hermétiquement bouclée, et que l'armée égyptienne s'apprête à lancer son offensive "Fattah 2" (Conquête) contre les terroristes islamistes du Sinaï ("Egypt set for Fattah 2 offensive on Sinai Islamist terror. Gaza sealed. US and Israeli forces on alert.") On voit que tout baigne, il ne reste plus qu'à attendre que l'Egypte et Israël bombardent conjointement Gaza pour "éradiquer le terrorisme"...

Si les fantassins de la Légion arabe de la CIA et du Mossad (8 juillet) se recrutent (aussi) parmi les Frères musulmans égyptiens, il semble de plus en plus évident que les groupes qui sévissent actuellement dans le Sinaï n'obéissent pas aux dirigeants (encore libres) de ce mouvement. Si c'était le cas, ils seraient implantés dans les villes au lieu de perdre leur temps au milieu du désert. En Syrie, ils adorent la guérilla urbaine ; en Egypte par contre, zéro... Ces gens ne sont pas moins manipulés que l'armée putschiste qu'ils affrontent. Les uns et les autres ont pour objectif non pas de combattre l'Etat voyou juif mais de le protéger en s'entretuant. Le spectacle ne fait que commencer...  (Voir également plus bas 20 août 2013.)


19 juillet 2013 : Les manifestations anti-putsch ne faiblissent pas. A Mansoura, une ville située dans le delta du Nil, au nord du Caire, il y a trois morts : deux femmes et un adolescent. Dans la capitale, où les médias sont toujours fixés sur la seule place Tahrir, les militaires continuent d'en interdire l'accès à leurs adversaires.


21 juillet 2013 : The Grand Scam : Spinning Egypt's Military Coup - Exposing the Hypocrisy of ElBaradei and His Liberal Elites  par Esam Al-Amin (sur le site de CounterPunch). L'auteur dénonce l'escroquerie de la version officielle du coup d'Etat, et démasque l'hypocrisie d'El-Baradei et de ses "élites libérales". L'article corrobore des faits connus depuis le 3 juillet et en révèle quelques autres.

■  Non seulement le peuple égyptien a élu Morsi et les Frères musulmans en 2012 (voir plus haut 9 juillet) ; au cours des deux denières années, les électeurs se sont prononcés en tout à six reprises dans le même sens (référendum constitutionnel de mars 2011, deux tours d'élections législatives entre novembre 2011 et janvier 2012, deux tours d'élection présidentielle en mai et juin 2012, référendum constitutionnel de décembre 2012). De nouvelles élections législatives devaient se dérouler cet été, mais la Haute Cour constitutionnelle (complice des putschistes) les a annulées en mars 2013 - on comprend maintenant pourquoi. C'est le président de cette cour, le juge Adly Mansour, qui est à présent "président de la République" à la place de Morsi. [Tire-toi de là que j'm'y mette, et vive la séparation des pouvoirs...]

■  Ahmed Chafik, battu par Morsi à la présidentielle, avait été ministre de l'Aviation puis Premier ministre sous Moubarak jusqu'à la chute de celui-ci. Quelques semaines après sa défaite, mauvais perdant, il demandait le renversement du gouvernement des "Ikhwans" (Frères) pour mettre fin à la prétendue "ikhwanisation" de l'Egypte. Morsi avait placé des hommes à lui à certains postes importants, mais existe-t-il un seul pays au monde où le parti vainqueur ne fasse pas la même chose ?... En fait, il s'avère a posteriori que Morsi n'avait pas remplacé suffisamment de fonctionnaires, et qu'il avait fait confiance à des gens qui travaillaient contre lui, dans l'armée, la police et les services secrets. Ces trois secteurs représentant l'ancien régime de Moubarak et "l'Etat profond", ont toujours été contre Morsi, de même d'ailleurs que l'appareil judiciaire et les médias.

■  En novembre 2012, l'Arabie Saoudite (prince Bandar) a présenté à la CIA un plan en vue d'assassiner Morsi début décembre (plan A) ou de le déstabiliser jusqu'à ce qu'il tombe (plan B). Le plan A ayant été déjoué par Morsi, c'est le plan B qui a été appliqué. En mars 2013, une série de rencontres a eu lieu pour mettre au point les détails du complot, réunissant des généraux, des "foulouls" (hommes de l'ancien régime) et des membres de l'opposition (dont El-Baradei). Puis, en avril, fut fondé Tamarrod (voir 15 juillet) qui connut un succès aussi fulgurant que miraculeux, financé notamment par le milliardaire égyptien Naguib Sawiris (le pharaon des télécoms, de la construction et du tourisme). Pendant ce temps, les médias privés (aux mains des foulouls) se lançaient dans une "vicieuse campagne de dénigrement à l'encontre de Morsi et des Frères musulmans", tandis que la chaîne saoudienne Al-Arabiya (basée aux Emirats) ne cessait de faire l'éloge de Tamarrod et des chefs de l'opposition.

■  En face de cela, Morsi ne faisait pas le poids. Et surtout, il ne prenait pas du tout les choses au sérieux, disant que puisque l'opposition avait déjà organisé 25 manifestations foireuses, ce n'est pas la 26ème qui allait l'inquiéter. Morsi ne se doutait pas qu'on lui préparait pour le 30 juin "la mère de toutes les manifs" [5 % de mobilisation, 95 % de médiatisation]. A la fin de la deuxième semaine de juin, Tamarrod avait soi-disant recueilli 10 millions de signatures pour la démission de Morsi, dix jours plus tard on en était à 22 millions. Et le 30 juin, c'était enfin 33 millions (merci Thierry Meyssan de nous l'avoir signalé le 8 juillet). Rien que sur la place Tahrir (qui a une surface de 50.000 m², le double en y ajoutant les rues adjacentes) on comptait paraît-il entre 5 et 8 millions de "révolutionnaires", c'est-à-dire entre 50 et 80 personnes au mètre carré !... [dans le meilleur des cas, un carré de 14 x 14 cm pour chaque manifestant, soit trois manifestants sur une feuille de papier A4...]  En réalité, écrit Esam Al-Amin, il y avait place Tahrir moins d'un demi-million de personnes, et sans doute à peu près autant dans le reste du pays, soit un million en tout, ou peut-être deux si on compte large.  [Cela correspond à peu près à ce qu'on avait enregistré en 2011, au plus fort des manifs anti-Moubarak - voir page précédente 1er février 2011.]  Par conséquent, on a sacrifié la volonté de l'électorat égyptien sous prétexte qu'un ou deux millions de personnes avaient protesté pendant quelques jours.

■  Trois jours avant le coup d'envoi de la nouvelle "révolution", le journal saoudien Okaz publiait les détails du scénario de la prise du pouvoir par les militaires. Le lendemain (c'est-à-dire le 28 juin, deux jours avant la première manif) le quotidien égyptien "officiel" Al-Ahram, le plus grand du pays, décrivait sous le titre Démissionner ou être renversé, le déroulement exact des événements des jours suivants.

■  La pénurie et l'insécurité ont bien été organisées comme l'ont révélé des journalistes occidentaux (voir plus haut 12 juillet). Les quelque 2.000 stations-service privées (sur 2.500 en tout) ont participé à cette escroquerie. Elles appartiennent à de richissimes partisans de l'ancien régime qui doivent leur fortune à celui-ci. Pour ce qui est des coupures de courant et de la violence urbaine, c'est encore pire : les responsables, à commencer par le ministre de l'Energie électrique et le ministre de l'Intérieur, étaient membres du gouvernement Morsi et ont été repris par le nouveau "cabinet" putschiste. On les a ainsi récompensés de leur "bonne conduite" (= sabotage) au cours des douze derniers mois. En tout, huit ministres traîtres sur 35 ont gardé leurs postes.

■  Bilan provisoire de la répression : plus de 270 personnes tuées par l'armée et les forces de "sécurité", des milliers de blessés, les comptes bancaires des Frères musulmans et de leur parti bloqués, leurs biens immobiliers et autres confisqués, des centaines d'arrestations, des centaines de Frères musulmans recherchés, Morsi poursuivi par des magistrats qui l'avait déjà emprisonné sous Moubarak. Le procureur de l'ancien régime lui reproche d'ailleurs - entre autres choses - d'avoir profité du chaos généré par la "révolution" de janvier 2011, pour s'évader de la prison où l'avait jeté ce même Moubarak (!)  Le procureur reproche aussi au président légitime "d'avoir eu des contacts et d'avoir communiqué avec des éléments étrangers", en particulier des dirigeants occidentaux, lorsqu'il était président.  [Flanby, fais gaffe, on t'observe, on sait que tu causes avec des étrangers, on t'a vu avec Frau Merkel et Mister Obama...]


Kevin Barrett, qui reprend l'article d'Esam Al-Amin sur le site de Veterans Today, écrit dans son introduction :

"La tolérance occidentale pour le coup d'Etat en Egypte - voire sa sponsorisation - est un symptôme du profond enracinement de l'islamophobie. Imaginez que les rôles aient été inversés, que les laïques aient remporté les élections législatives et la présidentielle, pour être ensuite renversés par un putsch militaire conçu pour transférer le pouvoir aux Frères musulmans. Si cela s'était produit, chaque hypocrite islamophobe en Occident (c'est-à-dire pratiquement toute la population) serait en train de crier au meurtre et de hurler à la destruction de la démocratie en Egypte..."


23 juillet 2013 : Les manifestations pro-Morsi se poursuivent : encore dix morts en moins de 24 heures au Caire et dans les environs.

Selon The Independent de Londres, les "libéraux" égyptiens veulent faire interdire les partis religieux.

Norman Finkelstein (historien juif antisioniste américain) : "Mode d'emploi des libéraux laïques et 'révolutionnaires' pour la pratique de la démocratie : (1) Arriver au pouvoir à la faveur d'un putsch militaire - (2) Perpétrer quelques massacres d'adversaires islamistes - (3) Mettre les islamistes hors la loi - (4) Annoncer sur Twitter et Facebook qu'on a recueilli en dix minutes les signatures de soutien de 569 milliards d'Egyptiens..."


24 juillet 2013 : Encore deux partisans de Morsi tués au Caire. Selon Reuters, "la Confrérie accuse le ministère de l'Intérieur d'employer des malfrats en civil afin de s'attaquer aux militants."  Evidemment, la police dément cette accusation. On voit mal les gros truands du ministère avouer qu'ils utilisent les services de petits truands des bas-fonds...


26 juillet 2013 : Morsi a été placé en détention préventive. Dans un acte d'accusation surréaliste, la "justice" (= la junte) lui reproche d'avoir "délibérément tué des détenus, des officiers et des soldats" lors de son évasion de prison de janvier 2011 (voir 21 juillet). Le président élu est également accusé d'enlèvement d'officiers et de soldats, d'incendie criminel, de destruction de documents et - la meilleure de toutes - de "collaboration avec le Hamas pour se livrer à des actions agressives dans le pays, en attaquant des installations de la police et de l'armée".

Le chef des putschistes lance un ultimatum aux Frères musulmans : ils ont jusqu'à demain pour accepter sa "feuille de route de réconciliation politique", c'est-à-dire pour capituler. Etant donné que le général Al-Sissi avait déjà lancé un ultimatum du même genre au président légitime juste avant de le renverser, il faut prendre la chose au sérieux. C'est le signe que la junte prépare un mauvais coup contre les partisans de Morsi.

Ceux-ci se mobilisent de nouveau aujourd'hui, tandis que leurs adversaires, renforcés par les malfrats du ministère (voir quelques lignes plus haut - 24 juillet), sont appelés à contre-manifester "en masse". On a l'impression que la junte veut provoquer des affrontements qu'elle pourrait interpréter comme un début de guerre civile. Ce qui lui permettrait d'imposer son régime dictatorial, bien entendu soutenu par "33 ou 34 millions" d'Egyptiens (ou carrément par 569 milliards, comme dit Norman Finkelstein - 23 juillet).


27 juillet 2013 : Au moins sept morts à Alexandrie, et beaucoup plus au Caire. A Nasr City (banlieue est), l'armée tue par balles quelque 70 partisans du président, la plupart étaient en train de prier devant la mosquée Rabaa Al-Adawiya ; certaines sources parlent même de 120 morts. Dans le quartier de Choubra, qui se trouve au nord du centre-ville de la capitale, des voyous postés sur les toits jettent des pierres et des bouteilles sur les manifestants pro-Morsi. Les putschistes continuent de bloquer l'accès de la place Tahrir à quiconque s'oppose à leur coup de force. De cette manière, les chaînes de télévision ne montrent que des supporters de la junte. A en croire Al-Sissi, tout le monde le soutient, sauf "les terroristes".

Apparemment, l'homme fort du Caire veut noyer dans le sang toute forme de contestation pacifique de la part des loyalistes. La répression est en marche avant même l'expiration de l'ultimatum.


Sur la complicité de la "gauche" arabe : Peut-on revendiquer le suffrage universel et rejeter la sanction des urnes ?  par Ahmed Henni.

"Le refus des résultats du suffrage universel montre qu'une grande partie des gauches du monde arabe ne considère pas l'ensemble de la population comme des citoyens mais, pour une bonne part d'entre eux, comme des « égarés » trompés par les islamistes... Cette partie de la gauche a abandonné le militantisme auprès du peuple, pourvoyeur de voix, pour enfourcher la facilité médiatique du discours méprisant sinon haineux vis-à-vis de mouvements qu'on est incapable de battre politiquement. Dans le meilleur des cas, elle est en faveur d'un suffrage censitaire ou, comme le préconisait en 1992 l'universitaire algérien M'Hamed Boukhobza, les électeurs non instruits ne devraient pas avoir le droit de vote. Le rapport remis aux autorités par cet intellectuel soulignait « les risques du suffrage universel dans un pays sous-développé, car il favorise l'émergence d'un populisme potentiellement nihiliste, alimenté par l'existence structurelle d'une population nombreuse et exclue du progrès économique et social »..."

"L'appel aux appareils militaires égyptiens, auquel a souscrit la majorité des courants de gauche, pour destituer un président élu au suffrage universel montre que les gauches du monde arabe, au lieu de réclamer la dissolution immédiate des « Stasi arabes » ou, pour le moins, leur encadrement par un texte législatif, continuent, au nom d'une hypothétique justice matérialiste utilitariste, de reléguer le droit des gens aux calendes grecques. Il est temps qu'elles fassent leur aggiornamento... Autrement, et à l'instar des communistes occidentaux, leur dissolution historique ne fait aucun doute."  [Ah bon, il y a encore quelque chose à dissoudre ?...]

L'auteur compare également le putsch égyptien de 2013 au putsch algérien de 1992. Mais ce dernier avait eu lieu avant l'accession des islamistes au pouvoir, lorsque leur victoire électorale au second tour de scrutin ne faisait plus de doute compte tenu des résultats du premier tour.


L'armée égyptienne reprend le scénario algérien  par Laïd Seraghni.

En Algérie aussi, on a prétendu, comme le fait Thierry Meyssan pour les Frères musulmans, que le parti écarté par les putschistes - le FIS ou Front Islamique du Salut - avait "truqué les élections". En réalité, celles-ci "étaient organisées par l'administration sous contrôle total de l'Etat algérien qui était persuadé que selon certains sondages, le FIS n'obtiendrait pas plus du tiers des sièges".




1973 :

"Parfois la démocratie a besoin d'un bain de sang..."

(Pinochet s'était vanté d'avoir débarrassé son pays de la "racaille communiste")

Voir plus haut 9 juillet et 10 juillet



2013 :

"Mon collègue chilien avait parfaitement raison..."

(Al-Sissi se fait fort de débarrasser son pays de la "racaille islamiste")


28 juillet 2013 : Egyptian violence was a massacre, not a 'post-revolution transition'  par Robert Fisk :

"Que se passe-t-il en Egypte ? Les morts sont appelés « terroristes », un mot que les Israéliens et les Américains utilisent pour désigner leurs ennemis. La presse égyptienne fait état d'« affrontements », comme si des Frères musulmans armés avaient livré bataille à la police... La vérité, c'est que la police a tué par balles des gens désarmés, et que pas un seul policier n'est mort. Ce qui s'est produit, c'est un massacre, une tuerie de masse. Il n'y a pas d'autres mots pour qualifier cela..."

"Le général Mohamed Ibrahim, ministre de l'Intérieur, prétend que seulement 21 membres de la Confrérie ont été tués. Comment se fait-il alors que j'aie moi-même compté 37 corps sur le sol de l'hôpital hier matin ?... Le ministre déclare que le sit-in des Frères musulmans devant la mosquée Rabaa doit cesser et que la Confrérie doit « réintégrer le processus politique ». Mais n'est-ce pas justement ce qu'elle avait fait en gagnant les élections ?... Et puis, qu'est-ce au juste que le « processus politique » ?  Si vous pouvez participer à une élection et la gagner, pour être ensuite renversé par un général (un dénommé Al-Sissi), que vaut l'avenir de la politique en Egypte ?..."


29 juillet 2013 : Deux dirigeants d'Al-Wasat, un petit parti islamiste pro-Morsi (voir plus haut 10 juillet), sont arrêtés par les putschistes pour "incitation à la violence".

Morsi's most serious offense : dans cet article, Soraya Sepahpour-Ulrich pense que ce qui a scellé le sort du président égyptien (malgré son brillant palmarès pro-israélien - voir 4 juillet), c'est le fait qu'il était fermement opposé au projet de construction d'un barrage sur le Nil bleu, en Ethiopie. Avec la chute de Morsi, plus rien ne s'oppose à la réalisation de ce projet.

Voir aussi : Israël s'est entendu avec le gouvernement éthiopien pour mettre la main sur l'eau du Nil  par Mireille Delamarre.


10 août 2013 : Des dizaines de tués après des frappes israéliennes et égyptiennes au Sinaï  par Patrick Martin (wsws).

Attaques coordonnées des armées israélienne et égyptienne contre des cibles dans le Sinaï : le 9 août, à Ajarah près de la frontière du ghetto, un missile tiré depuis un drone israélien détruit un "lanceur de roquettes" soi-disant braqué contre Israël, tuant quatre ou cinq "islamistes" ; le lendemain, des hélicoptères égyptiens fournis par les Etats-Unis visent des sites également "islamistes" tout près de là, à Al-Thoma au sud de Cheikh Zouwayed (une ville bédouine proche de la frontière de la bande de Gaza), détruisant des véhicules, incendiant des maisons et tuant entre 15 et 25 personnes. Le ministre de la "Défense" de Tel Aviv, Moshe Yaalon, remercie l'armée égyptienne pour son action - des remerciements d'autant plus mérités que les hommes d'Al-Sissi ont aussi facilité le "travail" du drone israélien en localisant la cible.

La presse égyptienne prétend - tout comme d'ailleurs la presse israélienne - que des centaines de "terroristes" du Hamas ont franchi la frontière pour perpétrer des attaques contre l'Egypte. Il semblerait que cette vague de propagande ait pour but de "justifier" par avance la répression accrue qui se prépare contre les Frères musulmans, lesquels n'ont toujours pas capitulé plus de cinq semaines après le putsch.

Le site sioniste DebkaFile fait l'éloge de la coopération entre les deux armées. Le 22 juillet, il annonçait que six dirigeants de la Confrérie s'étaient réfugiés à Gaza afin de préparer des attentats avec le Hamas et les bédouins salafistes d'Al-Qaïda. Depuis, pratiquement chaque jour, DebkaShit raconte que le Hamas dispose d'armes sophistiquées : le 10 août, ce sont des missiles iraniens Fajr-5 avec radar intégré - ça change des tuyaux de poêle rouillés connus sous le nom de Qassam.


14 août 2013 - Massacre à Nasr City :

Attaque massive des forces de "sécurité" contre les manifestants pro-Morsi qui ont érigé des camps de fortune en deux endroits de la capitale : devant la mosquée Rabaa Al-Adawiya à Nasr City (banlieue est) et place Nahda à Gizeh, près de l'Université du Caire (rive ouest du Nil). Les massacreurs du général Al-Sissi (armée, forces spéciales, tireurs d'élite, police) tuent par balles ou écrasent au bulldozer plus de 120 civils sans armes. Certaines sources parlent même de 250 morts, voire beaucoup plus (jusqu'à 2.200 tués dans toute l'Egypte).

Comme les fois précédentes, le Pinochet égyptien inverse les rôles en accusant ses victimes ; il invoque un prétendu mandat qu'il aurait reçu du "peuple" (mythe des "33 millions"). Devant l'ampleur des massacres, certains alliés des putschistes prennent peur : El-Baradei démissionne de son poste bidon de vice-président, tandis que l'imam de la mosquée Al-Azhar (une des plus anciennes du Caire et siège de l'université islamique du même nom) se désolidarise des militaires qu'il soutenait depuis le 3 juillet. A l'étranger, le Premier ministre turc Erdoğan (13.7.13) est pratiquement le seul à condamner ces nouvelles atrocités.

Pour avoir les coudées franches, la junte militaire décrète l'état d'urgence et impose un couvre-feu de 19 heures à 6 heures du matin. Elle interdit également le trafic ferroviaire, mesure particulièrement brutale dans un pays où le train est le seul moyen de transport pour l'écrasante majorité de la population. De toute évidence, les putschistes craignent que la province ne vienne prêter main-forte aux pro-Morsi de la capitale. Il y a des manifestations (et des morts) à Alexandrie, Port-Saïd, Ismaïlia, Suez, Fayoum, Assiout, Louxor, Assouan, etc...


15 août 2013 : Le bilan des massacres s'alourdit d'heure en heure. Le MdS de la junte (selon les interprétations : ministère de la Santé - sic - ou menteur de service) parle de 343 morts. Le chiffre réel dépasse sans doute le millier. Les Frères musulmans font état d'au moins 4.000 tués.

Les putschistes continuent de mentir sans vergogne, jouent les victimes, déclarent vouloir "rétablir la démocratie" (sic). Des églises coptes sont incendiées par des provocateurs, probablement payés par le régime, pour "prouver" la nocivité des pro-Morsi. Face au déferlement de violence étatique, ces derniers se défendent comme ils peuvent. S'ils disposaient vraiment des armes qu'on les accuse de détenir, la guerre civile aurait éclaté depuis longtemps. Mais il est probable que, militairement, les Frères musulmans ne sont rien d'autre qu'un réservoir de chair à canon dans lequel viennent puiser les animateurs étrangers de la Légion arabe.

L'Iran condamne à son tour la répression en Egypte. Téhéran a toujours soutenu Morsi, sans que la réciproque soit vraie. Le président égyptien s'était brièvement rendu en Iran fin août 2012, pour participer au sommet des pays non-alignés, mais il y avait tenu un discours hostile au gouvernement de Damas, allié de Téhéran. Curieusement, cela n'a pas découragé la République islamique. Le pouvoir iranien (chiite) ne voit aucun inconvénient à se solidariser avec des mouvements (le plus souvent sunnites) qui n'éprouvent aucune sympathie pour lui, à commencer par les Palestiniens. Rien n'est simple dans le monde musulman...

Les pays européens, eux, au lieu de condamner franchement la répression, exigent "la fin des violences de part et d'autre" - victimes et bourreaux rejetés dos à dos. Quant aux Etats-Unis, ils commencent à s'énerver. Les ordres du Pentagone étaient pourtant clairs : Allez-y, mais faites vite et soyez discrets... Al-Sissi serait-il un incapable ?...


16 août 2013 : Selon le porte-parole des putschistes, le nombre de morts serait maintenant de 525. Le bilan véritable est probablement plus proche de 2.000.

On n'a pas fini de compter les tués du 14 août, que déjà il faut y ajouter ceux de ce "vendredi de la colère" : 50 personnes de plus d'après la junte, au moins 200 selon les pro-Morsi. Et le boucher Al-Sissi continue...

Au cours d'un débat télévisé de la BBC, une participante anglo-égyptienne fait une déclaration intéressante à propos des églises coptes incendiées ces derniers jours. Une vieille méthode des services égyptiens, déjà couramment pratiquée sous Moubarak, consiste à s'en prendre aux biens de la minorité chrétienne tout en faisant porter le chapeau aux Frères musulmans. Quand une église est attaquée quelque part et que les victimes appellent la police, il y a des chances pour que celle-ci arrive trop tard - ou pas du tout.


Egypt's Shameful Day - Bloodbath on the Nile  par Esam Al-Amin (CounterPunch) - ce que les médias alignés ne nous disent pas à propos du bain de sang du 14 août, cette journée de la honte :

■  Les sit-in et manifestations anti-putsch à travers toute l'Egypte ont attiré des millions de personnes, non seulement des Frères musulmans (FM) mais aussi des groupes pro-démocratie venus protester contre l'annulation de leurs votes.

■  Un mois après le coup de force, le soutien de l'opinion publique pour les putschistes était en forte baisse. Selon un sondage effectué le 6 août par le très sérieux Egyptian Center for Media Studies and Public Opinion, 69 % des personnes interrogées désapprouvaient le coup d'Etat, 25 % l'approuvaient, 6 % n'avaient pas d'opinion. Parmi les personnes désapprouvant le putsch, 19 % seulement se réclamaient des Frères musulmans, 39 % d'autres partis islamistes, 35 % d'aucun parti. Parmi les supporters du putsch, 55 % se disaient anciens partisans de Moubarak et 17 % coptes opposés à l'slamisme.  91 % des personnes ne se prononçant ni pour ni contre le putsch appartenaient au parti salafiste Nour.

■  Pendant une bonne semaine, des envoyés de l'UE et des USA ont tenté de négocier un compromis entre les FM et la junte. Les FM étaient prêts à faire des concessions : en échange de la libération de Morsi et de son retour à la présidence pour une courte période (bien qu'il ait été élu jusqu'en 2016), ils acceptaient le Premier ministre issu du putsch et la mise en place d'un gouvernement provisoire composé de technocrates. Ensuite, Morsi aurait démissionné et de nouvelles élections auraient eu lieu dans les 60 jours. Les putschistes ont rejeté ce plan ; ils ne voulaient pas de compromis mais la capitulation pure et simple des FM.

■  Tandis que les négociations avaient lieu, la campagne médiatique anti-Frères battait son plein, orchestrée par les loyalistes pro-Moubarak, les oligarques corrompus et "l'Etat profond" ; les forces de "sécurité" fignolaient leurs plans pour attaquer les protestataires pro-Morsi, démanteler les campements et arrêter les leaders islamistes.

■  Afin de donner un vernis légal à la brutale répression de manifestations pacifiques protégées par la constitution, le procureur général a prétendu que les protestataires étaient armés (ce qui était faux) et que les résidents du voisinage s'étaient plaints de nuisances (également faux). En revanche, les squatteurs de la place Tahrir (pro-putsch) ont pu bloquer les lieux et empêcher le fonctionnement de certaines administrations pendant des semaines et des mois sans être inquiétés.

■  Contrairement à ce qui a été prétendu après l'attaque du 14 août, les soldats ont tiré sur les protestataires sans sommation ni mise en garde, avec l'intention de tuer. Les armes soi-disant "découvertes" chez les FM ont été placées là par l'armée. Un médecin de l'hôpital provisoire de la mosquée Rabaa dit avoir compté 2.600 cadavres à cet endroit. Au moins une demi-douzaine de journalistes figurent parmi les morts, dont un caméraman de Sky News et un reporter de Gulf News. Après l'attaque, l'armée a détruit l'hôpital et incendié le centre de presse ainsi que des tentes où se trouvaient les corps de manifestants tués. Elle a exigé des familles qui venaient récupérer les dépouilles de confirmer par écrit que les personnes étaient décédées de mort naturelle.

■  On n'a aucune preuve que 43 policiers aient été tués comme le prétend la junte. Aucun nom, aucune photo, aucun enregistrement n'a été présenté.

■  Il est inconcevable que le général Al-Sissi, le général Ibrahim ("ministre de l'Intérieur"), leurs complices civils, leurs soutiens occidentaux et les perpétrateurs de ces crimes de guerre et crimes contre l'humanité, n'aient pas prémédité le carnage et qu'ils ne se soient pas doutés de l'ampleur qu'il allait prendre.  Chacun des groupes impliqués dans le coup d'Etat avait ses propres motivations : les "libéraux" laïques, après leurs défaites électorales successives de 2011-12 [voir l'article du 21 juillet du même auteur], avaient parfaitement compris qu'ils ne pourraient jamais l'emporter contre les FM dans un scrutin libre et honnête, et qu'il leur fallait exclure ou affaiblir les islamistes pour occuper l'espace politique ainsi "libéré" ; les nostalgiques de l'ère Moubarak et les éléments de "l'Etat profond" voulaient prendre leur revanche ; l'armée, elle, craignait de devoir se soumettre au contrôle civil et de perdre ses privilèges.

■  Le "gouvernement" fantoche est en grande partie composé d'anciens pro-Moubarak et de vieilles marionnettes (le "Premier ministre" a 77 ans). Parmi les 25 gouverneurs nommés par la junte, on compte 19 généraux. La priorité de l'armée est de mater la population, pas de faire place aux jeunes comme il a été dit.

■  [Comme pour confirmer ce qu'on a pu entendre à la BBC au sujet des églises coptes incendiées - voir un peu plus haut], l'auteur de l'article signale que c'est l'appareil "sécuritaire" de Moubarak et le ministre de l'Intérieur de l'époque, Habib Al-Adly, qui sont responsables de l'attentat à la bombe contre l'Eglise des Saints à Alexandrie, fin décembre 2010, peu de temps avant le déclenchement de la "révolution". Exactement comme aujourd'hui, on avait alors accusé les islamistes de ce crime.


17 août 2013 - Bain de sang place Ramsès :

Le bilan de la journée d'hier s'établit - selon la junte - à 173 morts pour toute l'Egypte, dont 95 au Caire. A multiplier par trois pour avoir les chiffres réels. Et le carnage va certainement se poursuivre, vu que les Frères musulmans, loin de capituler, appellent à manifester quotidiennement contre le régime putschiste.

Au Caire, les protestations se déplacent vers la place Ramsès, dans le centre-ville, près de la gare. Les forces de "sécurité" donnent l'assaut à la mosquée Al-Fateh, où des partisans du président Morsi s'étaient réfugiés.


Faire la guerre contre son propre peuple est
plus facile que de se battre contre Israël :

"Al-Sissi ou-Akbar !..."

L'armée putschiste et ses auxiliaires de la police arrêtent plus d'un millier de Frères musulmans (ou supposés tels). Il est même question de dissoudre la Confrérie et son parti politique, le PLJ - condition indispensable pour "gagner" les prochaines élections.

« Un bain de sang qui n'est pas un bain de sang » : Pourquoi l'Egypte est condamnée  par Pepe Escobar (journaliste investigateur brésilien) :  "La répression féroce et la corruption règnent en maîtres, tandis que des intérêts étrangers - la Maison des Saoud, Israël et le Pentagone - soutiennent la stratégie impitoyable de l'armée."

Du même auteur : Le nouvel Axe du Mal - au-delà de l'Egypte...

Un carnage et ses répliques  par M. Saadoune (Le Quotidien d'Oran) :  "De Washington à l'Europe, on continue à faire des contorsions pour condamner sans aller trop loin... La répression des manifestations de la place Taksim en Turquie a suscité des réactions plus véhémentes que le carnage du Caire..."

Le Venezuela accuse les USA et Israël d'être à l'origine des événements sanglants qui se déroulent en Egypte.


18 août 2013 : 800 morts officiellement depuis le début du carnage, il y a quatre jours. Mais on sait que les militaires savent mieux tuer que compter...

In Cairo, bloodbaths are now a daily occurrence  par Robert Fisk (The Independent) - Au Caire, les bains de sang sont devenus quotidiens :

"Une abjection, un des chapitres les plus honteux de l'histoire égyptienne. Les policiers - certains d'entre eux affublés de cagoules noires - ont tiré sur la foule des Frères musulmans depuis le toit du poste de police de la rue Ramsès et dans les rues avoisinantes. Ils ont même tiré sur des voitures qui circulaient sur la route de l'aéroport. Pour voir leur horrible ouvrage, il suffit de monter les marches de marbre rose de la mosquée Al-Fateh, encore gluantes du sang versé hier soir, et de regarder cette multitude de blessés allongés sur les tapis. Un peu à l'écart, 25 morts dans leurs linceuls. Le Dr Ibrahim Yamani écarte légèrement les draps pour montrer comment ils ont été tués : balle dans le visage, balle dans la tête, balle dans la poitrine... Des infirmiers expliquent que la police a utilisé des balles explosives. Un homme a eu la tête à moitié arrachée, son visage est méconnaissable..."

"Une heure plus tôt, je discutais avec des forces de 'sécurité' près de la mosquée incendiée de Rabaa à Nasr City, où a eu lieu le massacre de mercredi [14 août], et un des policiers, tout en noir, m'a dit d'un air joyeux : « C'est nous qui faisons le boulot, l'armée observe... » Et effectivement, pendant le carnage de la place Ramsès, l'armée était postée à un kilomètre de là, dans ses blindés d'une propreté éclatante. Pas une goutte de sang sur leurs uniformes impeccables."

"Deux heures durant, les tirs de la police ont balayé la foule. A plusieurs reprises, deux grosses voitures blindées ont fait leur apparition sur le pont routier qui surplombe la place, tirant sur les gens en contrebas depuis les tourelles d'acier de leurs véhicules. A un moment donné, on a pu entendre une rafale de mitrailleuse tirée sur la foule qui comptait 20 ou 30.000 personnes, plus tard peut-être 40.000... La masse humaine a été prise d'un soubresaut et a commencé à s'écouler en direction de la mosquée..."

"La police est inexcusable... Elle avait l'ordre de tuer, et elle a tué - des douzaines de fois... Les policiers, dont la mission consiste en principe à protéger la vie de tous les Egyptiens, ont tiré sur des milliers de leurs compatriotes, tout simplement dans le but de tuer. Et pendant qu'ils faisaient ça, des voyous eux aussi cagoulés, des drogués et d'anciens flics qui forment maintenant la garde prétorienne des forces de 'sécurité', rappliquaient avec leurs armes devant le poste de police..."


Comme il se doit, le régime terroriste du général Al-Sissi accuse ses victimes de "terrorisme" - on croirait entendre ses maîtres israélo-américains. Ironie du sort, les maîtres en question étaient aussi ceux des Frères musulmans, il y a moins de deux mois de cela.



Le nouveau slogan de la télévision égyptienne
© Ambassade américaine

Version plus conforme à la réalité

Gazés alors qu'ils tentaient de s'évader

On apprend que 36, 37 ou 38 détenus islamistes sont morts pendant une "tentative d'évasion" soi-disant mise en échec par la police égyptienne. A l'époque nazie, on disait : « Auf der Flucht erschossen ».

Après avoir annoncé que les détenus avaient été tués par balles au cours d'une fusillade ayant suivi la "tentative d'évasion", les médias nous servent une autre version où il est question de détenus morts "asphixiés au gaz lacrymogène" alors qu'ils se trouvaient dans un fourgon cellulaire. On a donc le choix : les tueurs en uniforme ont soit gazé*, soit fusillé leurs prisonniers**...

* « Auf der Flucht vergast » : même les nazis n'y avaient pas pensé... Comme quoi on n'arrête pas le progrès...

** Comme le signale Robert Fisk dans cet article, les prisonniers en question étaient tout simplement "de pauvres gens, chargés d'aucun crime, détenus sans accusation, sans jugement, victimes du glorieux 'état d'urgence' avec lequel l'Egypte est maintenant bénie". La police les a arrêtés parce qu'ils s'étaient réfugiés dans la mosquée Al-Fateh de la place Ramsès le 17 août (voir plus haut). Autrement dit, certains manifestants ont été massacrés sur place, d'autres ont été embarqués par la police et assassinés le lendemain...

Fisk a vu à la morgue les dépouilles de neuf de ces victimes :  "Ils sont morts dans des conditions horribles... Leurs corps étaient affreusement gonflés et ils avaient été brûlés de la tête aux pieds. Un homme avait une lacération à la gorge, causée peut-être par un couteau ou une balle. Un collègue a vu cinq autres cadavres dans un état similaire, mais avec des orifices faits par des balles au niveau de la gorge..."


On comprend que les Frères musulmans (voir leur communiqué) s'inquiètent pour les milliers de détenus aux mains de la junte, qui pourraient eux aussi être victimes d'exécutions sommaires.  Lire également : Peaceful Detainees Brutally Tortured, Killed in Cold Blood.


19 août 2013 : Israël plonge la région dans un bain de sang pour attaquer l'Iran  par Mireille Delmarre :

"Derrière les bains de sang en Syrie, Irak, Egypte, Liban, il y a la main criminelle de l'entité coloniale sioniste au Moyen-Orient soutenue par les USA et l'Arabie Saoudite. En Egypte le nouveau pharaon Al-Sissi a le soutien d'Israël et de l'Arabie Saoudite pour massacrer tous ceux qui lui résistent, à commencer par les Frères musulmans. L'armée égyptienne protège le front sud d'Israël de toute attaque de la Résistance palestinienne de Gaza, l'armée israélienne concentrant ses troupes au nord, face au front de la Résistance Hezbollah-Syrie-Iran..."

Arrêtons de diaboliser les Frères musulmans  par Maha Azzam, analyste égyptienne (The Guardian) :

"L'Etat militaire et policier fait un retour fracassant en Egypte. Ce pays qui, après soixante ans de dictature, avait brièvement pris la voie de la transition démocratique, vient de voir ce processus s'inverser avec le coup d'Etat commis le 3 juillet contre le premier président élu de l'histoire égyptienne. Cette prise du pouvoir a alors été justifiée par les manifestations monstres que connaissait le pays, mais aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que les chiffres revendiqués par l'armée et ses partisans étaient largement surévalués."

"Parmi ceux qui appellent de leurs vœux un retour à l'ère qui a précédé la révolution du 25 janvier 2011 et la chute d'Hosni Moubarak [le 11 février 2011], il n'y a pas que le haut commandement militaire, le ministère de l'Intérieur, les services de sécurité et la police. Il y aussi, et c'est un point crucial, la justice et les médias d'Etat. Ces différentes coteries ont activement œuvré, en coordination, pour entraver le bon fonctionnement de l'Etat."

"A cela s'est ajoutée une pernicieuse campagne de calomnie et de diabolisation du parti au pouvoir, les Frères musulmans. Les campagnes de propagande les dénonçant ont toujours fait partie du paysage sous les dictatures égyptiennes, de Nasser à Moubarak, soucieuses d'affaiblir cette organisation qui était la principale menace pesant sur le régime. Mais l'opposition laïque et progressiste, qui s'est révélée incapable de séduire une frange assez large de l'électorat, a préféré ruer dans les brancards plutôt que de s'impliquer vraiment dans le processus politique, d'accepter les résultats et de faire campagne en vue des prochaines élections..."

"Durant l'année que le gouvernement élu a passée au pouvoir, certains ont affirmé que les urnes ne suffisaient pas et que Morsi n'était pas assez rassembleur, mais il n'en reste pas moins que l'isoloir est un élément essentiel du processus démocratique. Sur le plan politique, ce qui a fait défaut à l'Egypte pendant cette expérience de démocratie, c'est une opposition respectueuse des principes électoraux. Au lieu de cela, l'opposition qui s'est rassemblée sous la tutelle du Front du salut national a décidé de soutenir un coup d'Etat militaire..."

"Ce que l'Egypte a connu depuis le coup d'Etat, c'est le retour systématique de l'Etat policier et militaire, le recours aux arrestations arbitraires, la mainmise sur les médias et la dispersion des manifestants par les armes à feu. Comme dans toutes les dictatures, les institutions égyptiennes sont corrompues et elles redoutent le changement. L'appareil de sécurité se venge de ces deux années passées à vivre sous la menace d'un nouvel ordre qui risquait un jour de lui demander des comptes. Depuis le début du putsch, il a le sentiment d'avoir repris le contrôle et est prêt à frapper sans merci quiconque le défie, toutes idéologies confondues..."


20 août 2013 : La junte arrête Mohamed Badie, "Guide suprême" des Frères musulmans et un des derniers dirigeants encore en liberté. Son fils avait été tué par l'armée quelques jours plus tôt.  Presque au même moment, on annonce que Hosni Moubarak va être libéré sous caution ; il avait été condamné à la prison à vie en juin 2012, à l'issue d'un procès-farce où il devait comparaître enfermé dans une cage et attaché sur une civière.

Des centaines de Frères musulmans sont poursuivis par la "Justice" pour "meurtre" et "incitation à la violence". On reproche à la Confrérie d'être à l'origine des attaques contre l'armée dans le Sinaï, dont celle d'avant-hier qui a coûté la vie à 25 policiers. Les Frères s'en défendent. D'ailleurs, s'ils avaient la capacité de mener de telles actions, ce n'est pas à la frontière de Gaza qu'ils agiraient mais au cœur même de la capitale. La manipulation continue - voir plus haut 18 juillet - et tous les moyens sont bons pour venir à bout des pro-Morsi.

25 Egyptian Policemen Executed in Sinai - Fingers Point at Israel  par Kawther Salam (journaliste palestinienne) :

"Les extrémistes sionistes et les partis religieux qui dirigent Israël croient que Dieu a donné aux juifs tous les territoires compris entre le Nil et l'Euphrate. Les juifs israéliens s'intéressent non seulement à la péninsule du Sinaï, d'où ils ont été expulsés en 1979 après la signature d'un traité de paix avec l'Egypte, mais aussi aux territoires égyptiens situés à l'Est du Nil."

"Si l'on analyse la situation en incluant ce contexte, il devient évident qu'Israël est le seul bénéficiaire des affrontements récents en Egypte, de la violence et de l'aggravation des conflits de société dans ce pays. C'est Israël qui suscite les antagonismes et les atrocités, directement ou indirectement avec l'aide de ceux de ses alliés dans le monde entier qui détiennent le pouvoir et l'influence dans les domaines de la politique, de la diplomatie, des médias, de la finance, etc."

"Actuellement, Israël attise les conflits de la société égyptienne en utilisant divers moyens, dont la fourniture d'armes, de munitions et d'argent [l'argent des autres] aux militants terroristes de mouvements radicaux mis en place par la CIA et d'autres services occidentaux. Les propagandistes juifs, qui sont propriétaires des médias internationaux, maquillent à outrance le visage d'Israël afin de lui conférer vis-à-vis du monde un aspect 'humain' et soucieux du sort de ses voisins égyptiens."

[Le 18 août] "les militaires égyptiens ont tué au moins 38 détenus pro-Morsi. Dans le but de surchauffer encore plus l'atmosphère déjà lourde entre les deux camps, les sionistes ont activé les gangs terroristes qu'ils contrôlent, les envoyant dans le Sinaï perpétrer un crime contre le régime. Les terroristes y ont exécuté 25 policiers, et l'affaire a été présentée comme un acte de vengeance après l'assassinat des détenus par le régime. Parallèlement, les médias sionistes internationaux ont lancé une campagne en faveur d'Israël, soulignant que les diplomates de Tel Aviv agissent partout dans le monde pour convaincre les dirigeants américains, européens et autres d'apporter leur soutien à l'armée égyptienne en lutte contre le 'diable' islamiste..."

Kawther Salam conclut en disant que les médias [sionisés] ont fait instantanément le lien entre les deux crimes, sans même attendre le résultat d'une quelconque enquête. Cette gaffe due à l'impatience est le signe qu'Israël est derrière l'attaque contre les policiers, le but étant d'envenimer davantage les rapports entre les différents groupes de la société égyptienne.


AU FOU !...

Ce n'est plus 33 millions mais le double (95 % des "70 millions de personnes
en âge de voter
", selon les sources exclusives de Thierry Meyssan - voir 9 juillet).

Dans son nouvel article, Meyssan reprend ses "arguments" précédents et aggrave même son cas
en faisant l'apologie des massacres américains pendant la Deuxième Guerre mondiale,
en Allemagne et au Japon (au moins un million de civils holocaustés
à l'aide de bombes au phosphore et de bombes atomiques).

Quant à "l'émasculation des populations occidentales", tout le monde ne peut pas
être un homme, un vrai, comme le patron du Réseau Voltaire...


27 août 2013 : Dans le cadre de la nouvelle guerre américano-sioniste qui se prépare contre la Syrie, la Ligue arabe condamne Damas pour sa prétendue attaque chimique du 21 août. L'Egypte des putschistes s'aligne sur cette condamnation, exactement comme l'avait fait Morsi en d'autres occasions. D'ailleurs, Al-Sissi n'a pas manqué d'exprimer son soutien à la "révolution syrienne", c'est-à-dire aux islamistes... qu'il fait massacrer dans son pays.

Tout cela n'empêche pas le site francophone iranien IRIB d'inventer (ou de colporter) une histoire d'interdiction du canal de Suez aux navires de guerre américains et britanniques - qui de toute manière y sont passés tout récemment et n'ont nullement besoin de cela pour attaquer la Syrie. Sans compter que les généraux égyptiens ne vont pas mordre la main saoudienne qui les nourrit, alors qu'ils savent parfaitement que Riyad est un des principaux artisans de la guerre antisyrienne.


2 septembre 2013 : La junte militaire désigne une "Assemblée constituante" de 50 membres, sans islamistes, et lui donne un délai de deux mois pour pondre une nouvelle "constitution". C'est Amr Moussa qui préside ce démocratissime conclave. L'homme a été ministre des Affaires étrangères de Moubarak (de 1991 à 2001) puis secrétaire général de la Ligue arabe (de 2001 à 2011).

Morsi et 14 autres dirigeants des Frères musulmans vont être jugés "pour avoir commis des actes de violence et incité au meurtre et aux brutalités". Les gens qui ont imaginé ce chef d'accusation viennent de massacrer plusieurs milliers d'Egyptiens et continuent d'en tuer tous les jours. Avec l'arrestation récente de Mohammed Al-Beltagy, un de ses derniers leaders encore en liberté, la Confrérie est pratiquement décapitée. D'après les calculs de Thierry Meyssan, ce sont à présent 136 % des Egyptiens qui soutiennent les putschistes - tendance à la hausse :



En tenant compte de la TVA et du refroidissement climatique,
la progression est encore plus impressionnante...


5 septembre 2013 : Au Caire, un attentat à la voiture piégée fait une dizaine de blessés. L'explosion visait, paraît-il, le convoi du général putschiste Mohamed Ibrahim, "ministre de l'Intérieur" autoproclamé. Comme par hasard, le massacreur numéro deux de la junte (tout de suite après Al-Sissi) sort indemne de l'explosion. Pas étonnant, on a encore besoin de lui pour diriger la prochaine vague de répression et organiser de nouveaux attentats qu'on mettra, comme celui d'aujourd'hui, sur le dos des Frères musulmans. Les FM nient toute implication et condamnent cet acte de violence.

Selon l'avocat Montasser El-Zayat, 8.000 personnes arrêtées pour des motifs politiques après le coup d'Etat sont détenues par la junte, et un certain nombre d'entre elles n'ont rien à voir avec les Frères musulmans. Plus de cinquante condamnations viennent d'être prononcées par un tribunal militaire ; les peines de prison vont de cinq ans à la perpépuité.  Le 4 septembre, les forces de "sécurité" ont arrêté le trésorier du parti salafiste Nour. Ce parti avait d'abord gouverné avec Morsi, avant de se laisser acheter par les putschistes (voir plus haut 6 juillet). Comme quoi la trahison ne paie pas...  (Nour est de toute façon plus radical que les FM - voir plus haut.)



(vu sur un forum du blog d'Allain Jules)


8 septembre 2013 : Selon le quotidien libanais Al-Akhbar, l'armée du général Al-Sissi est en train de démolir des maisons situées du côté égyptien de la frontière de Rafah, afin d'établir une zone tampon large de 500 mètres entre l'Egypte et la bande de Gaza. Les propriétaires ne seront pas indemnisés. Comme les militaires sont un chouïa moins salauds que leurs collègues tsahalos, ils préviennent les habitants au lieu de les écraser sous les bulldozers. Tout cela se fait, bien entendu, au nom de la "lutte contre le terrorisme".

L'éradication des tunnels, déjà détruits à plus de 70 %, se poursuit inexorablement. L'approvisionnement du ghetto ne devrait bientôt plus s'effectuer que par le point de passage autorisé par l'occupant (au compte-gouttes et au prix fort).


10 septembre 2013 : Toujours d'après Al-Akhbar, la junte va interdire à 55.000 prédicateurs "non homologués" (et bien entendu favorables au président Morsi) de prêcher dans les mosquées, car cela représente soi-disant "une menace pour la sécurité de l'Egypte". Al-Sissi devrait peut-être aussi exiger que chaque imam "homologué" soumette le texte de ses sermons au ministère de l'Intérieur, un mois à l'avance et en quatre exemplaires avec traduction anglaise pour faciliter le travail des instances supérieures.

Autre mesure imminente : l'interdiction des Frères musulmans. On en parle déjà depuis quelque temps.

Dans le cadre de sa campagne anti-Hamas, le régime putschiste s'efforce d'implanter une section de Tamarrod dans le ghetto de Gaza. On sait que cette perle "démocratique" des services américains (voir plus haut 15 juillet) participe activement aux événements actuels. Un certain Abdul-Rahman Abu Jamea, dont on ignore s'il est palestinien et s'il a jamais mis les pieds à Gaza, dirige paraît-il la rébellion (en arabe : Tamarrod) contre la "répression fasciste du Hamas". Voilà une expression qui fleure bon le sionisme "de gauche" style trotskiste "antifa". Personne, dans les pays arabes, n'emploie pareil vocabulaire.

Pour renverser la dictature des Frères gazaouis, les "rebelles" veulent s'appuyer sur leurs partisans locaux, probablement 95 % de la population comme en Egypte, sinon plus, pourquoi pas le double ?...  Comme il n'y a pas d'armée sur place, ils ont pris contact avec les militaires égyptiens (tu m'étonnes !...) afin de solliciter leur "aide" pour le cas où le Hamas ne renoncerait pas volontairement au pouvoir quand le peuple le demandera (source).

Mahmoud Abbas, le laquais palestinien d'Israël, soutient cette initiative de Tamarrod et d'Al-Sissi. Il le fait d'autant plus volontiers qu'elle émane de leurs maîtres communs à tous les trois. Abu Jamea estime que "puisque l'Egypte a autrefois administré le territoire [de 1949 à 1967], elle est parfaitement habilitée à le récupérer pour le peuple, à qui le Hamas l'a volé".  La "libération" de Gaza annoncée plus haut serait-elle imminente, elle aussi ?...


13 septembre 2013 : The Follow-up of the Egyptian Coup is to Invade Gaza  par la journaliste palestinienne Kawther Salam. La prochaine phase du coup d'Etat égyptien pourrait être l'invasion de Gaza :

"Dans le contexte d'un plan militaire imposé par le chef des putschistes, le général Al-Sissi, la télévision publique égyptienne continue de déverser sa propagande dirigée contre les Palestiniens de la bande de Gaza sous blocus. Conformément à ce plan, qui a le soutien des agences de renseignement d'un certain nombre de pays étrangers, particulièrement Israël et l'Autorité palestinienne, de même que l'Arabie Saoudite et Dubaï, une campagne de mensonges a été lancée contre les Gazaouis. Elle consiste à démoniser le Hamas et à détruire son image auprès du public en perpétrant des attaques terroristes contre des personnalités égyptiennes et des cibles militaires dans le Sinaï. Le tout dans le but de fournir à l'armée un prétexte pour envahir Rafah et la bande de Gaza pour le compte d'Israël."

Décidément, les signes se multiplient...


La couverture du magazine islamique Crescent International de Toronto résume bien la situation égyptienne.

Titre d'août 2013 : "Encore une fois le jouet de la tyrannie démocratique". Le président élu Morsi, kidnappé, ligoté et jeté derrière les barreaux, tandis que le chien de garde sioniste Al-Sissi et son compère Baradei sont tenus en laisse par le pharaon Obama (pour une fois, on ne voit pas la laisse de ce dernier). Bandeau de bas de page : "Le Hamas sera-t-il finalement le plus grand perdant de cette affaire ?"

Titre de septembre 2013 : "Le Caligula du Caire". Al-Sissi, au garde-à-vous devant le Mur des Lamentations sur fond d'Egyptiens massacrés, est présenté comme "le séfarade* dormant sorti du placard, qui tua le premier-né avant de tout miser sur Israël". Bandeau de bas de page : "Les Frères : simultanément sous sédatifs et flambés par leur parrainage saoudien."

*Le bruit court (et Crescent International s'en fait l'écho) que la mère d'Al-Sissi est d'origine juive : Malika Titani serait une séfarade marocaine née à Safi (entre Casablanca et Agadir). Elle a épousé le père (égyptien) du général en 1953 et pris la nationalité égyptienne en 1958. Al-Sissi est né en 1954 au Caire. On ignore quand sa mère s'est convertie à l'islam, probablement à l'occasion de son mariage. Si l'information est vraie, le général putschiste égyptien est aussi automatiquement ressortissant israélien, car né de mère juive. Uri Sabbagh, oncle maternel du général, également né à Safi, a vécu en Israël - source.




19 septembre 2013 : Après avoir imposé un couvre-feu diurne à Kerdasa (près de Gizeh), les forces de répression envahissent cette localité fidèle au président Morsi. Les militaires disent être à la recherche de "terroristes" qui auraient attaqué le poste de police local en août dernier et tué une douzaine de policiers. Les Frères musulmans dénoncent la razzia et nient être mêlés à l'attaque contre le poste de police, laquelle est l'œuvre de voyous armés au service du régime.

Les putschistes prétendent qu'un général des forces de "sécurité" a été tué aujourd'hui au cours d'une "fusillade" - chose bien entendu impossible à vérifier et probablement aussi "vraie" que tout ce que la junte raconte depuis le 3 juillet.

Une razzia analogue à celle de Kerdasa a été lancée trois jours plus tôt à Delga, à 300 km au sud de la capitale. Il est clair que la répression s'amplifie. On arrête des gens dans la rue parce qu'ils portent un T-shirt à l'effigie de Morsi ou arborent le logo de la résistance au putsch... Pour souligner le "danger terroriste", les militaires organisent des "alertes à la bombe", la dernière en date ce matin dans le métro du Caire. Simultanément, des "purges" ont lieu dans la fonction publique, notamment au ministère de l'Education nationale. Les écoles gérées par la Confrérie ne sont plus reconnues.

How the Army Demonized the Brotherhood (Al-Akhbar)


23 septembre 2013 : La branche judiciaire de la dictature militaire interdit officiellement toutes les activités des Frères musulmans et des organisations qui en dérivent. Elle ordonne la confiscation de leurs biens, rendant ainsi "légal" ce qui était pratiqué depuis près de trois mois. Un comité spécial va être mis en place "pour organiser la saisie des avoirs et des biens immobiliers de la Confrérie, dont ses nombreux sièges à travers le pays" (comprenez : pour s'emparer de ce qui échappe encore aux putschistes et organiser le partage du butin).

Le PLJ (Parti de la Liberté et de la Justice), vainqueur des premières - et dernières - élections législatives libres en Egypte, tombe également sous le coup de l'interdiction, de même que l'Alliance contre le coup d'Etat, qui coordonne tant bien que mal les protestations et s'efforce de défendre les prisonniers politiques.

Les médias occidentaux parlent de 2.000 prisonniers, un chiffre ridiculement bas quand on sait que le 5 septembre, il y avait déjà 8.000 détenus. Etant donné que la junte continue d'arrêter les partisans réels ou supposés de Morsi, le nombre effectif doit largement dépasser les 10.000.


6 octobre 2013 : A l'occasion du 40ème anniversaire de la victoire égyptienne contre Israël dans la guerre d'Octobre (que les Israéliens appellent guerre du Kippour), les Frères musulmans organisent des manifestations un peu partout dans le pays. La répression est féroce : on dénombre officiellement plus de 50 morts. Le bilan réel est beaucoup plus lourd, car les autorités ne comptent que les victimes dont les corps ont été transportés dans un hôpital.

Comme les fois précédentes, les forces du régime empêchent les partisans du président Morsi d'accéder à la place Tahrir, où seuls les pro-putsch et leurs gangs armés sont autorisés à se produire.

Le 6 octobre est une date-clé dans l'histoire récente de l'Egypte, pour ainsi dire une seconde Fête nationale, la première étant célébrée le 23 juillet (en souvenir de la révolution nassérienne de 1952). Le 6 octobre est considéré comme la Fête des Forces armées, puisque ce sont elles qui se sont distinguées ce jour-là. Bien que l'armée putschiste de 2013 n'ait plus rien à voir avec l'armée nationale de 1973, les généraux se croient habilités à en récolter les lauriers. Cette année, ils ont voulu le faire au détriment de la Confrérie.

Les Frères musulmans, même si leur organisation n'a en rien contribué à la victoire de 1973, invoquent eux aussi "l'esprit d'Octobre" et déclarent : "Tout comme les patriotes de 1973 ont donné leur vie pour la libération du sol égyptien et la restauration de la dignité, les patriotes d'aujourd'hui tombent en martyrs pour restaurer la liberté et la dignité de tous les citoyens."

Ironie du sort : plus personne, ni dans un camp ni dans l'autre, n'a l'intention d'entreprendre quoi que ce soit contre l'ennemi sioniste, si ce n'est en paroles. Les "valeurs" d'autrefois sont devenues depuis longtemps des slogans figés. On doit bien rigoler du côté de Tel Aviv...


4 novembre 2013 : Ouverture du "procès" du président Morsi que les putschistes tenaient au secret depuis son enlèvement du 3 juillet. Si le chef d'Etat démocratiquement élu n'a pas été assassiné par les hommes de main du Pinochet égyptien (en langage politiquement correct, on dit "suicidé"), c'est uniquement parce que les Etats-Unis ont voulu éviter un nouveau scandale. A plusieurs reprises, Obama et Kerry sont intervenus auprès de leur protégé afin qu'il se modère un peu, le menaçant même de suspendre la livraison de certains matériels sensibles : "Fais gaffe Sissi, si tu vas trop loin, tu seras privé d'hélicoptères de plus de 15 millions de tonnes pendant une semaine... On ne plaisante pas avec les USA !..."

Morsi va donc être "jugé" en compagnie de 14 dirigeants des Frères musulmans. "Dans une école de police [Police Academy] proche de la prison où avait été incarcéré Moubarak en février 2011", précise la presse. Un choix à la fois symbolique et... pratique (pour l'hébergement des protestataires qu'on ne manquera pas d'arrêter prochainement). Officiellement, on reproche aux accusés d'être responsables de la mort de dix manifestants lors d'accrochages survenus le 6 décembre 2012 devant le palais présidentiel. En réalité, tous ces morts, à l'exception d'un journaliste, étaient membres de la Confrérie, de même que la plupart des blessés de cette journée (source). Ils étaient venus marquer leur soutien au président Morsi que des voyous armés, protégés par les militaires et policiers qui obéissent aujourd'hui à Al-Sissi, voulaient chasser par la force. Au lieu de juger les assassins, on juge les survivants.

Heba Morayef, directrice pour l'Egypte de Human Rights Watch, déclare : "Ce qui m'inquiète à propos de ce procès, c'est que le système judiciaire est extrêmement sélectif et que les services de sécurité bénéficient d'une quasi-impunité pour le meurtre de centaines de manifestants..."  En fait, c'est encore pire, puisque les services de "sécurité" peuvent aussi rejeter leurs propres crimes sur les victimes.

Le président kidnappé ne reconnaît aucune légitimité au "tribunal" et considère à juste titre que ce "procès" est une farce. Les avocats qui le représentent sont égyptiens, et pas turcs ou qataris comme le prétend la presse pro-putsch. Ils ne sont pas là pour défendre Morsi - ce qui supposerait qu'ils jouent le jeu des putschistes - mais pour "observer la procédure, documenter la manière dont la justice est foulée aux pieds, et constater par eux-mêmes les crimes commis par l'appareil sécuritaire égyptien avec l'aide du parquet, notamment par la fabrication de fausses accusations contre les adversaires du coup d'Etat." (source)


A peine commencé, le "procès" est ajourné au 8 janvier 2014. Le bruit avait couru tout d'abord que c'était parce que Morsi refusait de comparaître en tenue de prisonnier. La réalité est sensiblement différente : au lieu de se comporter en accusé docile, Morsi a lancé aux juges anonymes : "Je suis toujours le président de la République !... Ce tribunal est illégal !... Ce sont les leaders du putsch qui devraient être jugés - pour crime et trahison... A bas la dictature militaire !... "  Ce n'est pas tout à fait ce qu'attendait la junte. Elle a maintenant deux mois pour "régler le problème"...




18 décembre 2013 : En plus de son procès pour le "massacre de manifestants" (voir quelques lignes plus haut), le président Morsi est maintenant inculpé pour "conspiration avec le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais en vue de commettre des actes terroristes en Egypte à l'époque où Hosni Moubarak était encore au pouvoir". Il risque la peine de mort.


23 décembre 2013 : Un attentat à la voiture piégée à Mansoura (dans le delta, au nord du Caire) fait 14 morts et une centaine de blessés, surtout des policiers. Les putschistes accusent aussitôt les Frères musulmans, qui démentent et condamnent l'attaque. Il s'agit très probablement d'un nouveau coup monté. Après l'interdiction des FM (classés "organisation terroriste" par la junte terroriste) et la criminalisation systématique de toute manifestation contre la dictature, Al-Sissi veut aller encore plus loin. Sa "justice" ne s'en prend pas seulement aux partisans de la Confrérie : des opposants non-islamistes sont également condamnés.

Le régime prépare un "référendum" pour janvier 2014, afin de faire "adopter" une nouvelle "constitution". Le résultat ne fait aucun doute...


8 janvier 2014 : Le "procès" du président Morsi reprend après une "pause" de deux mois, mais la junte ordonne aussitôt un nouvel ajournement jusqu'au 1er février, "pour cause d'intempéries". Il est vrai que le "réchauffement climatique" donne du fil à retordre aux Egyptiens.

D'un autre côté, le fait qu'un "procès" illégal contre le chef de l'Etat se déroule en même temps que la farce du "référendum constitutionnel" prévu pour les 14 et 15 janvier, n'a rien de très idéal et pourrait gêner les opérations de fraude. D'autant que les manifestations contre la dictature n'ont jamais cessé - malgré les intempéries. Rien que le vendredi 3 janvier, au moins 19 protestataires ont été tués.


16 janvier 2014 : Sans surprise, le référendum constitutionnel a été une "victoire éclatante" pour le régime. La campagne pour le "non" étant interdite et les opposants, considérés comme des "terroristes", arrêtés par centaines ou tués (onze morts les 14 et 15 janvier), c'est le contraire qui aurait été étonnant.

La presse fait état de 98 % de "oui" mais ne mentionne pas le taux de participation,


Mieux que les 95 % décomptés par Thierry Meyssan en août 2013,
mais moins bien que les 100 % remportés par Saddam Hussein en octobre 2002.

La nouvelle constitution, rédigée par une commission d'où les partis religieux étaient exclus, renforce le pouvoir de l'armée et soumet les civils aux tribunaux militaires. C'était déjà une pratique courante ; elle se trouve à présent officialisée. Comme le signale cet article d'Alex Lantier (wsws), la participation a été très basse, pas plus de 28 %. Les putschistes ont reçu l'appui de l'ancien dictateur Moubarak qui, depuis son lit d'hôpital, a appelé à voter "oui" : commentaire superflu...

Prochaine étape : "élection" d'Al-Sissi à la présidence.


17 janvier 2014 : Le journal Al-Ahram (Les Pyramides), favorable à la junte comme tous les médias égyptiens, publie ce qu'il est convenu d'appeler les résultats complets du référendum.

Sur 52,7 millions d'électeurs inscrits, 20,3 millions seraient allés voter, soit 38,5 %. Sur ces 20,3 millions, 19,54 millions auraient dit "oui" à la constitution, soit 97.7 %. A l'exception du nombre d'inscrits qui semble réaliste (légère augmentation depuis le dernier scrutin de 2012), tous ces chiffres sentent la fraude à plein nez. D'autant plus qu'aucun partisan du "non" n'était toléré dans les bureaux de vote où les faussaires avaient les mains libres. Sous Morsi, par contre, tous les partis étaient admis.

Si l'on considère que l'ensemble des 33 (ou 34) millions de pro-Sissi soi-disant mobilisés en juin-juillet (voir plus haut 12.7.2013) ont approuvé la nouvelle constitution (ce qui était vraiment la moindre des choses), on aboutit à un pourcentage de 162,5 % (ou 167,5 %) des suffrages exprimés. Voilà qui a quand même plus de panache que les 95 ou 98 ou 100 % dont il était question la veille.

Bien sûr, les sommets suggérés par la fameuse courbe de popularité du Pinochet égyptien n'ont pas tout à fait été atteints, et c'est bien dommage. Mais on se rattrapera certainement à la prochaine occasion...


24 janvier 2014 : Série de quatre attentats terroristes au Caire, contre le siège de la "Sécurité", un poste de police, la gare centrale et un cinéma. Il y a une dizaine de morts et 70 blessés. Comme d'habitude, la junte accuse les Frères musulmans... qui démentent formellement et condamnent.

Pour le troisième anniversaire de la "révolution" anti-Moubarak, la Confrérie annonce des manifestations pacifiques - bien entendu interdites par la dictature. Deux manifestants ont déjà été tués aujourd'hui en province.


25 janvier 2014 : Tandis que la place Tahrir reste réservée aux "98 %" de claqueurs recrutés par la junte, des manifestations contre le régime ont lieu un peu partout dans le pays. On compte une cinquantaine de morts, Frères musulmans et autres opposants, y compris des partisans du Mouvement du 6 avril. Ce mouvement fondé par les services américains avait pourtant soutenu le putsch d'Al-Sissi. Les marionnettes du "printemps arabe" ne sont plus ce qu'elles étaient, ou alors on a oublié leur petit bakchich...


26 janvier 2014 : Avec un certain retard, le portail juif francophone JForum.fr nous apprend que c'est le Juif israélo-américain Noah Feldman qui était à l'origine de la constitution des Frères musulmans, adoptée par référendum en décembre 2012, mais soi-disant horriblement islamiste et nécessitant un putsch militaire six mois plus tard.

Comme le précise le site en question, Feldman est également le "père spirituel" du projet de constitution tunisienne de 2014. Il a rempli la même "mission" en Afghanistan et en Irak, deux pays envahis, occupés et ravagés par sa seconde patrie pour le compte de la première.

Peut-être nous révélera-t-on dans quelques années que Feldman a aussi rédigé la constitu-sion des putschistes égyptiens...


27 janvier 2014 : Le général Al-Sissi a été promu maréchal (ou plutôt : il s'est promu lui-même).  Les enfants des écoles apprennent déjà le nouvel hymne : ♫ "Maréchal, nous voilà ! Devant toi, le sauveur de l'Egypte..."  On va bientôt leur distribuer des chocolats à l'effigie du nouveau maître.

L'état-major militaire (qui dépend d'Al-Sissi) conjure le Maréchal de "céder à la demande du peuple" (98 %) et d'être candidat à la présidentielle. Retenez-moi !...  C'est plus Sissi Impératrice, c'est Jeanne d'Arc...

Le bruit court que l'homme fort du Caire, qui est âgé de 59 ans et n'a plus beaucoup de temps à perdre, va bientôt se faire construire une pyramide ; elle dépassera en taille et en splendeur tout ce que l'Egypte a connu jusqu'ici.


28 janvier 2014 : Ouverture d'un deuxième "procès" Morsi, pour évasion (en janvier 2011) de la prison de Wadi Natroun où l'avait jeté le dictateur Moubarak. Pour éviter toute "mauvaise surprise" et empêcher que les personnes présentes dans la salle n'entendent les déclarations gênantes du président, on l'a enfermé dans une cage de verre insonorisée. Les autres dirigeants de la Confrérie, également "jugés", se trouvent dans une cage de verre séparée.

Le premier "procès", ouvert le 4 novembre 2013, a pour objet la mort de manifestants en décembre 2012. Un troisième, dont la date a été fixée au 16 février, doit avoir lieu pour "espionnage au profit du Hamas", et un quatrième (date inconnue) pour "insultes à magistrats".

On voit que la junte criminelle et les juges de l'ancien régime qui lui servent de paravent, s'acharnent contre le premier et dernier président égyptien démocratiquement élu.

Toujours le 28 janvier, au Caire, un inconnu circulant à moto tue un général qui dirigeait le service technique du ministère de l'Intérieur. Inutile de préciser que les Frères musulmans sont aussitôt accusés.


30 janvier 2014 : Le criminel de guerre britannique "de gauche" Tony Blair, Premier ministre de 1997 à 2007 et coresponsable des agressions militaires contre la Yougoslavie, l'Afghanistan et l'Irak, déclare à propos de l'Egypte : "L'armée égyptienne est intervenue à la demande du peuple afin d'amener le pays à un nouveau stade de son développement démocratique, et nous devons soutenir le nouveau gouvernement dans cette tâche..."

Le British bastard que personne ne peut blairer peut se permettre de dire tout haut ce que ses complices encore en fonction pensent tout bas. Il n'a plus à faire semblant d'être "politiquement correct".

(On remarquera au passage que le point de vue de Tony Blair coïncide ici avec celui de Thierry Meyssan...)

Tandis que les Occidentaux soutiennent moralement le nouveau "gouvernement" du Caire (ouvertement ou en cachette), l'Arabie Saoudite, elle, le soutient financièrement. On apprend aujourd'hui que Riyad accorde 6 milliards de dollars supplémentaires au régime.


16 février 2014 : Attentat terroriste à Taba, dans l'est du Sinaï, sur le golfe d'Aqaba, à la frontière israélienne. Une explosion détruit un car de touristes coréens, faisant cinq morts et 25 blessés. Les victimes terminaient leur visite en Egypte et s'apprêtaient à entrer en Israël. Comme toujours, la dictature accuse les Frères musulmans qui démentent.

Le même jour, et ce n'est pas une coïncidence, s'ouvre au Caire le troisième procès Morsi (pour "espionnage" et "conspiration"). Depuis sa cage de verre insonorisée, profitant d'un moment où le "juge" a remis le son, le président démocratiquement élu lui demande de quoi il a peur : "Est-ce parce que vous n'avez aucun soutien populaire ?..."  Et avant que Morsi ait pu terminer sa phrase dénonçant la farce judiciaire mise en scène par les putschistes, le son est de nouveau coupé.* Les défenseurs du président quittent la salle en signe de protestation. Le "procès" est reporté au 23 février ; d'ici là, on aura trouvé des avocats dociles que l'on commettra d'office.

* Au "procès" de Guantánamo Bay, en mai 2012, les maîtres américains d'Al-Sissi utilisaient la même méthode mais de manière plus "subtile" : ils passaient la bande sonore avec un décalage de 40 secondes, disposant ainsi d'un peu plus de temps pour réagir, et ce n'est pas l'accusé mais le public qui était en cage - détails.


24 février 2014 : Le "procès" Morsi pour "espionnage" est de nouveau ajourné, les avocats (les mêmes que précédemment) ayant récusé les juges. En temps normal, surtout dans une dictature, une telle démarche de la défense est automatiquement rejetée par les magistrats mis en cause. Se pourrait-il que les juges hésitent à se mouiller ?... Même chose d'ailleurs en ce qui concerne le "procès" pour évasion (suspendu depuis plusieurs semaines).

Par la même occasion, on apprend que les conversations confidentielles de Morsi avec ses avocats sont enregistrées. Le contenu de l'une d'elles a même été publié dans un journal égyptien. Dans l'affaire "d'espionnage", on reproche maintenant au président prisonnier d'avoir fourni à l'Iran des informations relevant du secret défense. Les putschistes, qui s'étaient contentés jusqu'à présent de parler de collaboration avec le Hamas et le Hezbollah, ne savent vraiment plus quoi inventer.


23 mars 2014 : A Minia, à 250 km au sud de la capitale, un "tribunal" à la solde de la junte condamne à la peine de mort pour "meurtre" 529 Frères musulmans ou supposés tels. Parmi eux, 153 sont détenus, les autres en fuite. Durée du "procès" : deux jours à peine. Le surlendemain, on annonce le "jugement" de 700 autres islamistes. L'appareil judiciaire, dès le départ largement acquis au régime, a été épuré des derniers opposants : une cinquantaine de magistrats qui avaient signé une pétition pour dénoncer l'illégalité de la destitution de Morsi, ont été frappés par des mesures disciplinaires.

Selon des chiffres fournis par les autorités, 1.400 manifestants ont été tués depuis juillet 2013 ; le bilan réel est sans doute deux ou trois fois plus élevé.


28 avril 2014 : 492 des 529 condamnations à mort du 23 mars sont commuées en prison à vie. Mais en même temps, 683 autres opposants sont condamnés à la peine capitale. Parmi eux se trouve Mohamed Badie, "Guide suprême" des Frères musulmans.

Le magazine Crescent International déjà cité plus haut commente :

"Il est difficile de dire qui est pire : les hommes en uniformes ou ceux en robes de magistrats ?  Les uns et les autres tuent des gens innocents dont le seul crime est de revendiquer leurs droits fondamentaux. Les hommes en uniformes tuent avec des fusils et des balles, tandis que les porteurs de robes condamnent les gens à mort dans des procès tellement saugrenus qu'on ne peut même pas les qualifier de 'farces'... Il est clair que les juges égyptiens ont perdu la raison... Toutes les condamnations scandaleuses prononcées récemment l'ont été dans la même ville, par le même juge : Saeed Youssef, surnommé 'le boucher'... Ce qualificatif décrit à peine son comportement criminel au service des bandits en uniformes qui se sont emparés de l'Egypte..."

"Mohamed Abdel Waheb, un des avocats représentant 25 des accusés, dit que la sentence a été prononcée au cours d'une audience de moins de cinq minutes. Comment un juge peut-il se comporter ainsi ? Une exigence de base dans un procès, même dans le cas de normes minima en matière de justice, est d'entendre les arguments des deux parties... Selon l'avocat Abdel Waheb, il n'y avait eu auparavant qu'une seule audience de quatre heures, au cours de laquelle le juge avait refusé d'écouter le moindre argument de la defense..."

"Il faut savoir que les condamnés de Minia étaient des manifestants descendus dans la rue pour protester contre les tueries du Caire, où les militaires avaient massacré des milliers de civils innocents et sans armes [voir plus haut à partir du 14 août 2013]... A Minia, les manifestants avaient attaqué plusieurs postes de police, et un policier avait été tué. Il y avait eu également plusieurs morts parmi les protestataires, mais cela ne compte pas, c'est de la routine. Pour la mort d'un policier, le juge condamne à mort 529 personnes. Et pour ce qui est de la dernière fournée de 683 condamnés à mort, c'est encore pire : on ne les accuse d'aucun crime, sinon d'être contre le putsch militaire et le régime illégal qui en découle..."

Au Caire, un autre "tribunal" pro-putsch interdit le Mouvement du 6 avril, cet outil américain de la révolu-sion de 2011 : quand on a pressé le citron, on peut jeter la peau. Le mouvement en question critiquait un peu trop, aux yeux de la junte, le retour des partisans de Moubarak.


28 mai 2014 : Après le grand succès de son référendum constitutionnel (voir plus haut 16 et 17 janvier 2014), le maréchal Al-Sissi remporte une nouvelle victoire : il est élu président dès le premier tour avec 96,6 % des suffrages (soi-disant) exprimés. Son seul et unique concurrent était un avocat "nassérien". Le taux de participation aurait atteint 46,8 %. En réalité, estiment les Frères musulmans, il n'a pas dépassé 10 %. Le régime lui-même, après deux jours de calme plat dans les bureaux de vote, a commencé à paniquer en voyant que les Egyptiens se désintéressaient totalement de cette présidentielle bidon. Il a donc rajouté un troisième jour, décrété férié, afin de permettre à la population de se rattraper. Apparemment, les gens ont préféré aller à la pêche - une activité autrement plus utile...

En 2012, face à 12 concurrents au premier tour, Morsi n'avait pu l'emporter qu'au second. Il avait alors été élu - véritablement et démocratiquement - avec 51,73 % des voix, pour une participation de 51,85 % (Wikipédia). 13,2 millions de voix réelles s'étaient portées sur son nom. Al-Sissi, lui, a été crédité de 24 millions de voix (Wikipédia) dont 20 millions de voix virtuelles ou volées. Mais même si tous ces gens avaient vraiment voté pour lui, 24 millions c'est beaucoup moins que les 33 ou 34 millions de supporters qu'il avait paraît-il un an plus tôt (voir plus haut 12 juillet 2013).

La dictature s'auto-légalise. La répression continue, il y a déjà 17.000 prisonniers politiques.


20-21 avril 2015 : La "Justice" de la junte militaire confirme la condamnation à mort - prononcée quelque temps plus tôt - de 22 adversaires du régime dictatorial pour leur prétendue responsabilité dans la tuerie de Kerdasa (voir plus haut 19 septembre 2013).

Simultanément, le "tribunal" condamne le président légitime Mohamed Morsi à 20 ans de prison pour "incitation au meurtre".


16 mai 2015 : Un autre "tribunal" égyptien (ou peut-être le même) condamne à mort le président Morsi et une centaine de ses "complices", en rapport avec leur évasion de prison de janvier 2011 (voir plus haut 26 juillet 2013).

Plus de 40.000 prisonniers politiques croupissent dans les geôles du régime ; des milliers d'opposants ont été assassinés.


10 août 2015 : L'Egypte du dictateur Al-Sissi, qui participe depuis le 26 mars à la guerre d'agression que mène le régime saoudien contre le Yémen, annonce qu'elle prolonge son intervention militaire pour une durée de six mois, bien entendu renouvelables indéfiniment. Depuis le putsch de 2013, le plus grand pays arabe (par le nombre d'habitants, pas par l'intelligence de sa politique) est totalement inféodé à l'Arabie Saoudite, un Etat à l'idéologie cent fois plus rétrograde que celle des Frères musulmans renversés au Caire. Dis-moi qui te finance, je te dirai qui tu es...

Si les obscurantistes saoudiens exigent demain de Sissi qu'il envoie son armée donner un coup de main aux égorgeurs islamistes en Syrie, nul doute qu'il le fera. En obéissant à Riyad, il donnera satisfaction aux supérieurs hiérarchiques de ce régime : Washington et Tel Aviv.


19 octobre 2015 : Elections législatives bidon ("scrutin joué d'avance en faveur d'Al-Sissi... en l'absence quasi-totale de toute opposition"). Le taux de participation au premier tour (organisé dans la moitié des provinces du pays) est très faible, à peine 26 %. On voit que les gens ne sont pas dupes. Aux élections de décembre 2011 (remportées par les Frères musulmans et les salafistes) le taux avait été de 62 %, et à la présidentielle de juin 2012 (Morsi vainqueur) de 51,85 %.


11 avril 2016 : Le tyran du Caire reçoit un "don" de 16 milliards de dollars de son patron, le tyran de Riyad. En échange, il fait cadeau à ce dernier de deux îles égyptiennes, Tiran et Sanafir, situées dans le détroit de Tiran qui contrôle l'entrée du golfe d'Aqaba.



Le dictateur saoudien a l'intention de construire à cet endroit un pont entre l'Arabie et l'Egypte, ce qui lui permettra d'acheminer plus facilement ses troupes vers le Sinaï, pour y "combattre" les islamistes de Daesh, cette organisation terroriste qu'il a lui-même créée en collaboration avec l'OTAN et Israël. L'Arabie Saoudite (son nouveau drapeau) est désormais une grande alliée de Tel Aviv. Elle contribuera à sécuriser la frontière occidentale de l'Etat voyou juif en attendant qu'il puisse s'approprier toute la péninsule du Sinaï.


Un autre projet de construction, plus pharaonique encore que le pont de Tiran, est envisagé par l'Iran : creuser un canal long de 1.500 kilomètres entre la mer Caspienne et le golfe d'Oman (océan Indien) - carte. S'il voyait le jour, ce qui est peu probable, cet utopique canal concurrencerait en partie le canal de Suez. Dans un article de l'organisation de gauche Comité Valmy ayant trait au projet iranien, on peut lire cette merveilleuse inversion orwellienne à propos des récents événements d'Egypte :



Oui, bien sûr...  Et à la bataille de Valmy, en 1792, les vaillantes troupes royalistes
de Louis XVI ont repoussé l'invasion des sans-culottes soutenus par la Prusse et l'Autriche.


17 juin 2019 - L'étrange mort de Mohamed Morsi :

Président égyptien démocratiquement élu en 2012 (le seul de toute l'histoire du pays), renversé par le putsch militaire du dictateur Al-Sissi en juillet 2013, Morsi était incarcéré depuis six ans. Condamné à la peine capitale et à la prison à vie (plus quelques dizaines d'années) pour des motifs le plus souvent ridicules, il était de nouveau "jugé" pour "trahison" par un "tribunal" composé de pantins mis en place par un régime à la solde de Washington, Tel Aviv et Riyad. Et comme par hasard, cet homme de 67 ans, que l'on ne pouvait pas simplement exécuter sans s'attirer les foudres de l'étranger, meurt de "mort naturelle" en plein "tribunal". Pratique, n'est-ce pas ?...

Une mort probablement aussi naturelle que celle de Milosevic (Yougoslavie 2006)

Egypt's Only Elected President, Mursi, Dies in Cairo Court  (Crescent International)

Commentaire du président turc Erdoğan : "Morsi n'est pas mort de causes naturelles, il a été assassiné... Dans la salle d'audience du tribunal, il s'est tordu sur le sol pendant vingt minutes sans que les autorités lui viennent en aide... Je ferai tout pour que les responsables égyptiens soient traduits devant les tribunaux internationaux. Je soulèverai la question lors du sommet du G20 au Japon à la fin du mois..."



31 décembre 4016 : Dans les ruines de ce qui fut autrefois la ville du Caire, on vient de découvrir la momie très bien conservée du pharaon Moubarak 1er (début du 21ème siècle).



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